L'étroite route de corniche serpente sur des kilomètres au milieu de la forêt de cryptomères et de cèdres de la presqu'île Omoe. Puis, au cap Todogasaki, elle dévale vers la mer et devient bientôt un goulet entre deux parois de rocs percées de touffes de conifères dans les anfractuosités.
A peine traversé un petit hameau d'une douzaine de foyers, la rude beauté de ce "couloir de pierre" fait place à un paysage dévasté : jusqu'à une trentaine de mètres de hauteur, les arbres enchâssés dans le roc sont brisés ; des filets de pêche et des bouées pendent en guirlandes aux branches ; des débris jonchent le petit torrent ; les rampes de la route sont tordues. Puis on débouche sur le port dans sa petite crique : le quai en béton a été cassé en deux, de petites embarcations retournées flottent çà et là la quille en l'air. Ici, la vague a atteint 38,9 mètres, selon une équipe de chercheurs venue sur place. Solitaire sur la grève, un pêcheur regarde le désastre. "Il n'y pas eu de victimes ici", dit-il. Miracle ? "Vous n'avez pas vu la stèle au bord de la route ?"
Effectivement, à 200 mètres en contrebas du hameau, une stèle de pierre d'un mètre de hauteur se dresse telle une sentinelle sur un talus le long de la route, perdue au milieu des rochers et des arbres. Elle porte une inscription : "En commémoration des grand tsunamis de 1896 et de 1933. Souvenez-vous de ces désastres et ne construisez jamais vos maisons en deçà de cette limite."
Depuis, les habitants d'Aneyoshi ont respecté l'injonction de leurs ancêtres qui mettait en garde contre un autre tsunami qui, un jour ou l'autre, devait arriver. Alors qu'en 1933 il n'y avait eu que deux survivants, cette fois on ne dénombre pas de victimes dans le hameau : les seuls disparus sont une mère et ses trois enfants, dont la voiture a été emportée par la vague dans un village voisin.
"Nous sommes ici à 800 mètres de la côte et à une soixantaine de mètres au-dessus du niveau de la mer. La vague est venue mourir à quelques mètres de la stèle", précise un pêcheur, propriétaire de la seule petite auberge du hameau. Une baguette de bois plantée dans le sol au bord de la route indique l'endroit. "Nos ancêtres connaissaient l'horreur des tsunamis, et nous les avons écoutés", dit-il.
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