“Vous êtes libre de dire ce que vous voulez, mais gardez à l’esprit qu’il y a deux soldats qui sont prêts à nous exécuter si on dit quelque chose de travers.” Silence. “On plaisante, c’est de l’humour russe.”

Voilà comment débute l’enregistrement du talk-show de Russia Today (RT) – l’antenne de propagande du Kremlin – où j’ai été invité pour parler de la guerre. Je veux tester les limites de cette propagande et en comprendre les ficelles.

Tout a commencé dans une émission d’Otto e mezzo [“Huit et demie”]. Dans ce talk-show italien, je m’étais retrouvé quelques jours plus tôt à débattre avec Nadana Fridrikhson, une journaliste russe de RT et de la station de radio du ministère de la Défense.

Elle niait l’existence d’une quelconque censure en Russie et vantait les vertus du libre débat dans ce pays engagé dans une “opération spéciale” en Ukraine qui, assurait-elle, pouvait très bien être qualifiée de “guerre” à l’antenne sans risquer la prison. Parfait, lui écrivais-je après l’émission, nous allons voir ce qu’il en est vraiment : si vous m’invitez, je viens dans votre émission.

Elle a accepté, et c’est ainsi que je me retrouve à participer à deux talk-shows différents. Le premier sur RT, la chaîne russe qui relaie la vision du monde du Kremlin en plusieurs langues (elle s’adresse surtout à un public étranger et a été suspendue par la Commission européenne après l’invasion de l’Ukraine), et le deuxième dans une émission de radio de la station du ministère de la Défense russe.

“Savez-vous ce qui s’est passé le 2 mai 2014 ? ”

Les règles d’engagement sont a priori claires : aucun filtre, je peux dire ce que je veux. Ils posent les questions, je réponds à ma convenance.

Évidemment, quelques précautions ont été prises côté russe et l’émission de RT est enregistrée. Sur le plateau, Georgy Babayan et Nadana Fridrikhson me posent les questions en russe, je dois y répondre en italien. Un interprète assure ensuite la traduction dans les deux sens (je ne peux donc pas savoir ce qui est dit exactement). Après l’enregistrement, il faudra attendre près d’une semaine avant de pouvoir accéder à l’émission sur Internet. À la radio, le format est le même, sauf que c’est du direct.

Dans le débat diffusé sur RT, seuls les animateurs posent les questions. C’est un interrogatoire visant, semble-t-il, à démontrer que ceux qui condamnent l’agression de Poutine en Occident sont simplement mal informés. “Savez-vous ce qui s’est passé le 2 mai 2014 ?” me demande-t-on d’