Les hypothèses les plus populaires sur l’origine de la vie évoquent une soupe primordiale, un coup de foudre ou tout simplement une chance colossale. Au lieu de cela, un physicien pense que l’origine et l’évolution ultérieure de la vie découlent simplement des lois fondamentales de la nature et qu’elles n’ont rien de surprenant. SooCurious vous explique tout sur cette théorie.

Du point de vue de la physique, il existe une différence essentielle entre les êtres vivants et les amas d’atomes de carbone inanimés. Les premiers ont tendance à beaucoup mieux capturer l’énergie de leur environnement et dissiper cette énergie sous forme de chaleur. Jeremy England, 31 ans, professeur adjoint à l’Institut de technologie du Massachusetts, a dérivé une formule mathématique afin d’expliquer cette capacité. La formule, basée sur des lois de physique établies, indique que quand un groupe d’atomes est entraîné par une source d’énergie externe (comme le soleil ou des carburants chimiques) et entouré par un bain de chaleur (comme l’océan ou l’atmosphère), il se restructure progressivement afin de dissiper de plus en plus d’énergie. Cela pourrait signifier que dans certaines conditions, la matière acquiert inexorablement l’attribut physique associé à la vie.

« Si vous éclairez assez longtemps un bouquet aléatoire d’atomes, vous obtiendrez une usine », a déclaré Jeremy England. Sa théorie n’envisage pas de remplacer la théorie darwinienne de l’évolution par la sélection naturelle. « Je ne réfute pas la théorie de l’évolution selon Charles Darwin. Au contraire, j’explique que du point de vue de la physique, la théorie darwinienne est un cas particulier d’un phénomène plus général. » Son idée, résumée dans ce document et bien plus détaillée dans des discours qu’il livre dans les universités à travers le monde, a suscité la controverse parmi ses collègues, qui la voient soit comme fragile, soit comme révolutionnaire, soit les deux.

Jeremy England a une théorie « très courageuse et très importante », a déclaré Alexander Grosberg, professeur de physique à l’université de New York qui a suivi ses travaux depuis ses débuts. Le « grand espoir » est qu’il a identifié le principe physique fondamental de l’origine et l’évolution de la vie. « Jeremy est le plus brillant jeune scientifique que j’ai rencontré », a déclaré Attila Szabo, biophysicien à l’Institut national de la santé, qui correspondait avec Jeremy England à propos de sa théorie après l’avoir rencontré lors d’une conférence. « J’ai été frappé par l’originalité de ses idées. » D’autres, comme Eugene Shakhnovich, professeur de chimie, de biologie chimique et de biophysique à l’université Harvard, ne sont pas convaincus. « Les idées de Jeremy sont intéressantes et prometteuses mais extrêmement spéculatives, en particulier pour expliquer les phénomènes de la vie. »

Les résultats théoriques de Jeremy England sont généralement considérés comme valides. C’est son interprétation (la théorie selon laquelle sa formule représente la force motrice à l’origine de la vie) qui reste à prouver. Les scientifiques ont déjà imaginé différentes façons de tester cette interprétation dans le laboratoire. « Il essaie quelque chose de radicalement différent », a déclaré Mara Prentiss, professeur de physique à l’université Harvard, qui envisage une telle expérience pour valider le travail de Jeremy England. « Je pense que son idée est fabuleuse. Vraie ou fausse, il va falloir mener l’enquête sur cette théorie. »

Au coeur de sa théorie, Jeremy England s’appuie sur le deuxième principe de la thermodynamique, aussi connu comme loi de l’entropie croissante (c’est à dire que l’énergie tend à se disperser au cours du temps). Ainsi, des particules qui se déplacent et interagissent ont tendance à adopter des configurations dans lesquelles l’énergie est répartie. Finalement, le système arrive à un état d’entropie maximale appelée « équilibre thermodynamique » dont l’énergie est répartie uniformément.

Bien que l’entropie augmente au fil du temps dans un système « fermé », un système « ouvert » peut maintenir son entropie basse en augmentant grandement l’entropie de ses environs. Dans son ouvrage qu’il a écrit en 1944, « Qu’est-ce que la vie? », l’éminent physicien quantique Erwin Schrödinger a décrit ce que les êtres vivants doivent faire. Une plante, par exemple, absorbe la lumière solaire extrêmement énergique, l’utilise pour construire des sucres, et éjecte la lumière infrarouge, une forme beaucoup moins concentrée d’énergie. L’entropie globale de l’univers augmente lors de la photosynthèse qui dissipe la lumière du Soleil alors même que la plante elle-même empêche sa décomposition en maintenant une structure interne ordonnée.

À l’époque de Schrödinger, les scientifiques pouvaient résoudre les équations de la thermodynamique uniquement pour les systèmes fermés en équilibre. Dans les années 1960, le physicien belge Ilya Prigogine a fait des progrès sur la prévision du comportement des systèmes ouverts faiblement entraînées par les sources d’énergie externes (pour lequel il a remporté le prix Nobel de chimie en 1977). Mais le comportement des systèmes éloignés de l’équilibre et fortement entraînés par des sources d’énergie extérieures, ne pouvait pas être prédit.

Cette situation a changé dans les années 1990, principalement en raison du travail de Chris Jarzynski, maintenant à l’université du Maryland, et Gavin Crooks, aujourd’hui au Lawrence Berkeley National Laboratory. Ils ont démontré que l’entropie produite par un processus thermodynamique correspond à un rapport simple : la probabilité que les atomes subissent ce processus divisée par la probabilité de subir le processus inverse. « Notre compréhension de la mécanique statistique s’est alors grandement améliorée », a déclaré Grosberg. Il y a deux ans, Jeremy England, qui a étudié à la fois la biochimie et la physique, a monté son propre laboratoire au MIT pour appliquer cette nouvelle connaissance de la physique statistique à la biologie.

En utilisant la formule de Jarzynski et Crooks, il a généralisé la seconde loi de la thermodynamique : les systèmes sont fortement motivés par une source d’énergie externe, comme une onde électromagnétique, et ils peuvent décharger leur chaleur dans un bain environnant. Cette classe de systèmes comprend tous les êtres vivants. Jeremy England a ensuite déterminé la manière dont ces systèmes ont tendance à évoluer au cours du temps, augmentant leur irréversibilité. Les particules ont tendance à dissiper plus d’énergie quand elles résonnent avec une force motrice, ou se déplacent dans la direction qui les pousse, et elles sont plus susceptibles d’aller dans cette direction que toutes les autres à un moment donné.

« Cela signifie que des amas d’atomes plongés dans un bain à une certaine température, comme l’atmosphère ou l’océan, doivent se réarranger pour résonner de mieux en mieux avec les sources de travail mécanique, électromagnétique ou chimique dans leur environnement », a expliqué Jeremy England. L’auto-réplication (ou la reproduction, en termes biologiques), processus qui entraîne l’évolution de la vie sur Terre, est un mécanisme par lequel un système pourrait dissiper une quantité croissante d’énergie au fil du temps. « Une bonne façon de dissiper plus est de faire plus de copies de vous-même », explique-t-il.

Dans un document publié en septembre dernier dans le Journal of Chemical Physics, il a signalé le montant minimum théorique de dissipation qui peut se produire pendant l’auto-réplication de molécules d’ARN et des cellules bactériennes, et a montré qu’il est très proche des montants réels que ces systèmes dissipent lors de la réplication. Il a également montré que l’ARN, que de nombreux scientifiques décrivent comme précurseur de la vie à base de l’ADN, est un matériau de construction. Les mutations aléatoires, les événements catastrophiques et d’innombrables autres facteurs ont contribué à la finesse des détails de diversité de la flore et de la faune de la Terre. Mais, selon la théorie de Jeremy England, le principe sous-jacent de cette évolution est l’adaptation axée sur la dissipation de la matière. Ainsi, ce principe s’applique à la matière inanimée. « Il est très tentant de spéculer sur ce phénomène dans la nature, nous pouvons maintenant penser que l’organisation adaptative est axée sur la dissipation », a déclaré Jeremy England. « De nombreux exemples sont juste sous notre nez, mais parce que nous ne les cherchons pas, nous ne les remarquons pas. »

Les scientifiques ont déjà observé l’auto-réplication dans les systèmes non vivants. Selon une nouvelle étude menée par Philip Marcus de l’université de Californie à Berkeley, et rapportée en août dans la revue Physical Review Letters, les tourbillons de fluides turbulents se répliquent spontanément pour tirer de l’énergie de cisaillement dans le fluide environnant. Et dans un autre article, Michael Brenner, professeur de mathématiques appliquées et de physique à l’université Harvard, et ses collaborateurs ont proposé des modèles et des simulations théoriques d’auto-réplication de microstructures. Ces grappes de microsphères à revêtement spécial dissipent l’énergie sur les sphères voisines en formant des grappes identiques. « Cela rejoint la théorie de Jeremy », a déclaré Brenner.

Outre l’auto-réplication, une plus grande organisation structurelle est un autre moyen par lequel les systèmes fortement entraînés dissipent l’énergie. Une plante, par exemple, achemine l’énergie solaire à travers elle-même bien mieux qu’un tas non structuré d’atomes de carbone. Ainsi, Jeremy England fait valoir que, dans certaines conditions, la matière peut spontanément s’organiser. Cela pourrait expliquer l’ordre interne des êtres vivants et de nombreuses structures inanimées. « Les flocons de neige, les dunes de sable et les tourbillons turbulents ont tous en commun le fait que leur structure facilite un processus de dissipation », explique-t-il. La condensation, le vent et la traînée visqueuse sont les processus reliés à ces cas particuliers.

« Il montre que la distinction entre la matière vivante et non vivante n’est pas nette », a déclaré Carl Franck, un physicien biologique à l’université Cornell, dans un courriel. « Je suis particulièrement impressionné par cette notion et la considération de systèmes aussi petits que des circuits chimiques impliquant quelques biomolécules. » L’idée audacieuse de Jeremy England sera probablement sous surveillance dans les années à venir. Il exécute actuellement des simulations informatiques pour tester sa théorie et observer si les systèmes de particules adaptent effectivement leur structure pour mieux dissiper l’énergie. La prochaine étape sera de faire des expériences sur des systèmes appartenant au monde du vivant.

Mara Prentiss, qui dirige un laboratoire de biophysique expérimental à Harvard, pense que la théorie de Jeremy England pourrait être testée en comparant des mutations cellulaires à la recherche d’une corrélation entre la quantité d’énergie que les cellules dissipent et leurs taux de réplication. « Si de nombreuses expériences sur différents systèmes montrent que la dissipation et le succès de réplication sont en effet corrélés, ce principe d’organisation serait correct. » Brenner souhaite tester la théorie de Jeremy England avec ses propres constructions de microsphères et déterminer si la théorie prédit correctement les processus d’auto-réplication et d’auto-assemblage, « c’est une question scientifique fondamentale », dit-il.

Connaître le principe fondamental de la vie et de l’évolution donnerait aux chercheurs une perspective plus large sur l’émergence de la structure des êtres vivants. « La sélection naturelle n’explique pas certaines caractéristiques », a déclaré Louis Ard, biophysicien à l’université d’Oxford, dans un courriel. Ces caractéristiques comprennent un changement héréditaire à l’expression de gène appelée méthylation, c’est à dire une augmentation de la complexité en l’absence de la sélection naturelle, et certains changements moléculaires récemment étudiés.

Si l’approche de Jeremy England résiste à plus de tests, elle permettra aux biologistes de chercher une autre explication que celle qui suit la théorie darwinienne pour chaque adaptation et leur permettre de réfléchir plus généralement en termes d’organisation axée sur la dissipation. Ils pourraient trouver, par exemple, que « la raison pour laquelle un organisme montre une caractéristique X plutôt que Y n’est pas parce que X est plus fort que Y, mais parce que les contraintes physiques facilitent l’évolution de X par rapport à Y », explique Louis Ard. « Les gens sont souvent coincés dans la réflexion sur les problèmes individuels », a déclaré Mara Prentiss. Si les idées de Jeremy England sont vérifiées, dit-elle, « une pensée plus globale permet bien souvent de réaliser des percées scientifiques ».

Cette théorie est tout simplement passionnante ! Au bureau, on a tous été fascinés par ces explications de l’organisation des systèmes vivants et non vivants. L’idée de Jeremy England pourrait bien révolutionner la science ! Et vous, pensez-vous que l’Homme est sur le point de découvrir l’origine de la vie ?

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