Désobéir

Désobéir ©Getty - Christoph Hetzmannseder
Désobéir ©Getty - Christoph Hetzmannseder
Désobéir ©Getty - Christoph Hetzmannseder
Publicité

Après une vidéo de Brut, média en ligne de petites vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, le philosophe Frédéric Gros est devenu une véritable mascotte des réseaux. L’occasion de revenir sur son livre « Désobéir » publié l’année dernière aux éditions Albin Michel.

Éthique et politique

Effectivement, en ces temps de trouble dans la démocratie, la question de la désobéissance et de son corollaire, la vigilance, paraît tout à fait essentielle.
Je vous rassure tout de suite, le livre de Frédéric Gros n’est pas un manuel de rébellion, ni une longue digression psychologisante sur la révolte. Non, Désobéir est une interrogation profonde et argumentée, selon la vieille tradition socratique, du sens éthique qui anime chacune des personnes qui se plonge dans l’ouvrage.
C’est là l’un des talents incontestable de son auteur : questionner le rapport du lecteur à l’obéissance et la désobéissance et lui montrer que l’obéissance ne doit pas être qu’une habitude politique ou sociale, mais bien une décision éthique.
Obéir à quelqu’un ou à quelque chose, c’est avant tout obéir à soi-même, écouter sa cohérence interne, être attentif à ses responsabilités et à son sens de l’humanité.
C’est pour cela que désobéir peut parfois s’avérer nécessaire, justement pour préserver cette cohérence interne, ce sens de l’humanité nécessaire à notre survie.
Selon Frédéric Gros, son livre est une tentative de « comprendre, en interrogeant les conditions éthiques du sujet politique, pourquoi il est si facile de se mettre d’accord sur la désespérance de l’ordre actuel du monde, et si difficile pourtant de lui désobéir ?  »

La Grande table (2ème partie)
32 min

L’homme, l’animal, la machine

Toute la difficulté est là. Il paraît souvent beaucoup plus simple d’obéir que de désobéir. Mais, selon le philosophe, obéir ça n’est pas seulement plus simple, c’est aussi, le plus souvent salutaire, puisque c’est dans l’obéissance seulement qu’on se rassemble et qu’on se reconnaît.
Frédéric Gros passe alors en revue les figures de la désobéissance de notre époque : les écoliers turbulents, les paresseux, les mauvais travailleurs, les voyous, toutes ces personnes qui sont des « anormaux », des « inadaptés » qui ne veulent pas obéir aux normes imposées par la société. Incapables de résister à leurs pulsions, ils sont impuissants à affirmer leur humanité.
Seulement voilà, le siècle précédent nous a aussi montré comment l’obéissance pouvait mener aux pires inhumanités. Ainsi, l’opposition entre l’homme et l’animal désobéissant a été remplacée, dans la seconde modernité, par l’opposition entre l’homme et la machine obéissante. C’est ici que Frédéric Gros rappelle la spécificité de l’homme qui ne peut jamais être réduit à un tissu de diverses influences et déterminismes, mais qui est avant tout un être capable de ressentir, de penser, de juger. C’est cette spécificité de l’homme qui le rend capable de désobéir.

Publicité
Matières à penser avec Antoine Garapon
45 min

Obéir et désobéir, risques et périls

Souvent, désobéir paraît trop risqué, trop coûteux. Celui qui désobéit c’est celui qui sème le désordre.
En réalité, comme le montre Frédéric Gros, cette vision de la désobéissance comme portant en elle le chaos provient d’une idéologie bien précise. Certes la hiérarchie est injuste et l’harmonie sociale un leurre, mais désobéir ça n’est que rajouter du mal au mal.
On peut être lucide et même critique, mais il est toujours préférable d’obéir.
Pour Frédéric Gros cette obéissance-là est une sur-obéissance. Cette même sur-obéissance à laquelle s’attaque la Boétie dans son texte sur la servitude volontaire.
Comme il y a plusieurs manières d’obéir, il y a aussi plusieurs manières de désobéir, comme obéir a minima, résister de manière pacifique ou encore ne pas coopérer.
Frédéric Gros ne lésine pas sur les exemples et revisite les grandes figures de la résistance : Antigone, Henry David Thoreau, mais aussi les figures de l’obéissance aveugle en revenant longuement sur le procès d’Eichmann, qui, lui, n’a cessé de revendiquer la moralité de son obéissance.

À quoi consent-on réellement dans une société ?

Ce détour permet à Frédéric Gros de poser une question essentielle, celle du consentement. À quoi consent-on réellement dans une société ? Au fait d’obéir aux lois ou au fait de faire société ? Si l’on consent seulement à faire société, alors rien ne peut empêcher les citoyens de rejouer le contrat existant.
Dans ce cas, selon les mots de l’auteur, la désobéissance civile « réactualise ce qui n’a jamais existé (le consentement et la signature d’un contrat) et fait surgir ce moment d’origine où un collectif décide de son destin  ». Ce qui explique que certains sortent des rangs, décident de désobéir, de rompre le collectif pour lui redonner ses conditions de possibilité. Ce moment de désobéissance est un moment solitaire, un retour salutaire à soi pour mieux revenir vers les autres.
Une fois les mécanismes de la désobéissance dévoilés, Frédéric Gros s’engage dans une méditation sur la nécessité de trouver le point d’équilibre : obéir dignement, désobéir éthiquement.
Pour trouver cet équilibre, il faut avant tout du courage : oser penser par soi, oser rompre avec l’autre.
Il en va donc bien plus d’une question éthique que morale. C’est là la conclusion de l’auteur : « notre existence est notre œuvre », à nous de nous en rendre dignes. 

L'équipe