Nucléaire

EDF entre en négociations pour racheter les turbines Arabelle à General Electric

Le dossier traînait depuis des mois devant le peu d’enthousiasme de l’électricien, mais la volonté du gouvernement de sécuriser une activité stratégique l’a emporté.
par Jean-Christophe Féraud
publié le 22 septembre 2021 à 13h37
(mis à jour le 22 septembre 2021 à 14h56)

Cette fois, c’est fait : EDF va racheter les fameuses turbines Arabelle installées dans ses centrales nucléaires à l’américain General Electric (GE). Ce dernier en était devenu propriétaire, en 2015, en rachetant l’activité énergie d’Alstom. Les quelque 2 000 salariés français de GE Steam Power, l’entité qui regroupe les activités nucléaires de GE en France, ont été informés ce mercredi matin par un mail de leur direction de l’ouverture de «discussions préliminaires» avec EDF concernant «une transaction potentielle portant sur une partie de l’activité» : en l’occurrence toute la conception, la production, la commercialisation et la maintenance des turbines et alternateurs pour réacteurs nucléaires.

«Je vous écris aujourd’hui pour vous confirmer que nous avons entamé des discussions préliminaires avec EDF concernant une transaction potentielle portant sur une partie de l’activité GE Steam Power», annonce Valérie Marjollet, la CEO de GE Steam Power, basée à Zurich en Suisse. La dirigeante fait allusion aux activités éminemment stratégiques pour la filière nucléaire française, actuellement regroupées au sein de l’entité GEAST dans laquelle l’Etat français détient une «golden share» depuis qu’Alstom s’en est totalement désengagé. Autrement dit, un droit de veto en cas de revente à un acteur étranger ou indésirable. C’est précisément pour sécuriser ces activités nucléaires et les ancrer sur le territoire français que le gouvernement cherchait depuis dix-huit mois à convaincre EDF de les racheter. L’électricien est déjà très présent dans la conception et la construction de centrales nucléaires via Framatome (ex-Areva NP). Mais il ne fabriquait pas lui-même, jusqu’ici, le bloc turbine-alternateur – ce que gens du métier appellent «l’îlot conventionnel» – permettant de transformer en électricité la vapeur produite par un réacteur à eau pressurisée (l’îlot nucléaire). Ce savoir-faire était historiquement dévolu à Alstom, jusqu’au rachat par GE.

Opération de sauvetage

Sur le papier, il y a une vraie logique à ce qu’EDF reprenne les turbines qui équipent ses 56 réacteurs en activité en France et doivent équiper les futurs réacteurs EPR de Flamanville dans la Manche et de Hinkley Point au Royaume-Uni ou encore le futur porte-avions Charles-de-Gaulle. Ces activités sont essentiellement localisées sur le site de Belfort. La solution EDF qui était sur la table depuis des mois aurait donc le mérite de « sécuriser » définitivement les turbines Arabelle. Mais dans les faits, l’affaire est plus complexe car l’électricien n’était pas très chaud pour se lancer dans cette opération de sauvetage.

D’abord parce que le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, préférait d’abord mener à bien le projet «Hercule» voulu par Emmanuel Macron et destiné à refinancer le groupe, finalement suspendu sine die cet été faute d’accord avec la Commission européenne. Ensuite parce qu’EDF risque de se trouver face à un sérieux conflit d’intérêts en vendant des turbines à ses concurrents : le premier client de GE pour les turbines nucléaires n’est autre que le russe Rosatom, qui remporte aujourd’hui plus de contrats qu’EDF pour construire ou entretenir des centrales à l’export… «En passant sous pavillon EDF, on risque de se couper des Russes qui nous font travailler aujourd’hui. Et ce alors même que nous n’avons encore aucune certitude d’avoir des commandes françaises tant qu’il n’y a pas de feu vert politique à la construction de six nouveaux réacteurs EPR en France», alerte un syndicaliste de GE bien au fait du dossier. Ensuite parce que le «détourage» des activités de GEAST s’annonce complexe, EDF n’ayant aucune intention de reprendre les turbines pour centrales à gaz ou à charbon qui sont aujourd’hui logées à même enseigne que les turbines nucléaires. «Si l’on veut garder des clients autres qu’EDF, il faudra aussi que les turbines restent totalement autonomes et indépendantes de Framatome», prévient la même source.

Soulagement des salariés

Ces trois points expliquent la prudence avec lesquels les deux groupes présentent leurs négociations : «Il n’y a aucune garantie que ces discussions aboutissent» à un rachat de GEAST par EDF, précise la dirigeante de GE Valérie Marjollet dans son mail aux salariés. «GE ne fera pas d’autres commentaires sur ce sujet, et ce jusqu’à ce que des éléments significatifs permettent de constituer un projet.» «EDF est en cours d’analyse des conditions dans lesquelles ses intérêts pourraient être préservés», a déclaré en écho un porte-parole du groupe, avant d’ajouter : «Il n’y a aucune certitude quant à l’aboutissement de ces travaux et discussions exploratoires.» On a vu déclarations plus enthousiastes, ce qui semble confirmer que le gouvernement a quelque peu tordu le bras d’EDF dans cette affaire.

De leur côté, les salariés concernés affichent un certain soulagement à l’idée de quitter le giron de GE qui n’a cessé de tailler dans les effectifs depuis qu’il a repris Alstom. L’américain, qui devait initialement créer 1 000 emplois en France, a supprimé près de 3 000 postes, et l’usine de Belfort, où sont fabriquées les turbines, a été particulièrement touchée : «2 000 personnes sur 11 000 auront peut-être de la chance de quitter GE. Mais maintenant, il faut regarder le projet industriel d’EDF : que se passera-t-il si les EPR promis n’arrivent pas rapidement ?» questionne le représentant syndical cité plus haut, qui veut écarter tout «nouveau risque de casse sociale».

Interrogé par Libération au sujet de ce dossier épineux lors d’un déjeuner de rentrée avec la presse à Bercy, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, avait répondu : «La France a fait le choix du nucléaire et le président de la République l’a confirmé lors de son discours du Creusot. Aussi nous continuons à œuvrer à une solution française pour les turbines Arabelle avec l’objectif de sécuriser ces activités stratégiques et les compétences qui sont indispensables à notre avenir énergétique.» L’opération devrait donc se faire dans les semaines ou les mois qui viennent. Avant la présidentielle en tout cas. Car Emmanuel Macron, qui avait pourtant donné son feu vert à la vente d’Alstom à GE quand il était ministre de l’Economie de François Hollande, a bien l’intention d’inscrire à son crédit, au nom de la « souveraineté », ce qui ressemble à la renationalisation d’un savoir-faire unique et des emplois qui vont avec...


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