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Coronavirus : nouvelle alerte sur les effets indésirables de l’hydroxychloroquine

A l’échelle nationale, une centaine de cas de problèmes cardiaques graves liés à l’utilisation de cette molécule en milieu hospitalier a été déclarée à la pharmacovigilance. Des signalements concernent aussi un autre antiviral, le Kaletra.

Par  et

Publié le 24 avril 2020 à 04h40, modifié le 24 avril 2020 à 12h01

Temps de Lecture 6 min.

L’hydroxychloroquine (Plaquenil), une molécule normalement indiquée dans le traitement de maladies auto-immunes telles que le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde, permet-elle de lutter efficacement contre le Covid-19 ? Interrogé à ce sujet au Sénat, mercredi 22 avril, le ministre de la santé, Olivier Véran, a estimé que les dernières publications en date « ne sont hélas clairement pas en faveur de l’utilisation de ce traitement en pratique courante en mono ou en bithérapie associée à l’azithromycine (un antibiotique). »

Le ministre avait-il également en tête les dernières données de pharmacovigilance concernant cette piste thérapeutique ? Celles-ci posent en effet la question de la balance bénéfice-risque de ce traitement, après une première alerte début avril. Entre le 27 mars et le 21 avril, le centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Nice, chargé de la surveillance nationale des effets indésirables cardiaques des médicaments évalués dans le Covid-19, a recueilli 96 notifications, provenant du réseau des 31 CRPV français. Le nombre des effets indésirables graves cardiaques a quasiment doublé depuis le 9 avril, où il s’élevait à 54 cas. La plupart des déclarations (83 %) concernent un patient traité par hydroxychloroquine (HCQ) ou chloroquine, ce médicament étant associé dans environ la moitié des cas à l’azithromycine. Un traitement par Kaletra ou ses génériques (association des antiviraux lopinavir et ritonavir) est retrouvé dans 16 % des cas.

Risque de syncope et de mort subite

Le nombre de morts soudaines ou inexpliquées (4), d’arrêts cardiaques (4) et de troubles du rythme (6) n’a pas évolué depuis le bilan du 9 avril, souligne le professeur Milou-Daniel Drici, responsable du CRPV de Nice. Il constate en revanche davantage de prolongations « préoccupantes » de l’intervalle QT, une anomalie à l’électrocardiogramme qui augmente le risque de syncope et de mort subite. « Nous voyons aussi apparaître des cas de bradycardie [ralentissement du rythme cardiaque] sévère et des troubles de conduction complexes », ajoute le pharmacologue et cardiologue.

La majorité de ces effets indésirables ont été relevés chez des malades traités en milieu hospitalier (comme il est prévu par le décret) et bénéficiant d’une surveillance par électrocardiogramme. Six cas sont survenus dans un contexte d’automédication.

Dans l’idéal, cette centaine de cas d’effets indésirables cardiaques serait à rapporter au nombre total de patients atteints du Covid-19 recevant de l’hydroxychloroquine (ou du Kaletra) dans les hôpitaux français, données dont ne disposent pas les CRPV. « Comparativement aux 92 notifications faites depuis cinquante ans dans le domaine de la rhumatologie avec l’hydroxychloroquine, c’est beaucoup plus proportionnellement en l’espace de vingt-cinq jours, souligne le professeur Drici. La situation est préoccupante pour nous pharmacologues médicaux, et en termes de santé publique, car ces 96 cas graves notifiés dans le cadre du Covid-19 peuvent ne représenter qu’une très petite partie de cette toxicité. »

« Le principal signal d’alerte avec ces médicaments est cardiaque. Les autres effets indésirables retrouvés (hépatiques, digestifs…) avec l’hydroxychloroquine ou le Kaletra sont attendus, et n’ont pas entraîné de décès », indique Aurélie Grandvuillemin, du CRPV de Dijon, chargée de la pharmacovigilance globale dans le cadre du Covid-19.

Surveillance renforcée

Au total, depuis mi-mars, l’hydroxychloroquine a fait l’objet de 115 notifications d’effets indésirables, dont 70 % concernent le cœur. Soulignons que le Kaletra est, lui, mis en cause dans 91 cas, dont 39 sont des atteintes hépatiques.

Dans un communiqué daté du 23 avril, l’Agence européenne du médicament (EMA) souligne aussi la toxicité cardiaque de l’hydroxychloroquine et de la chloroquine, en particulier à haute dose et en combinaison avec l’azithromycine, et l’absence de preuve d’efficacité de ce traitement. « L’EMA et les autorités nationales compétentes suivent la situation de près et ont renforcé leur surveillance de la sécurité des médicaments utilisés dans le traitement du Covid-19 afin de prendre des mesures en temps utile si nécessaire », précise le document. Au Brésil, un essai clinique a été stoppé après la mort de plusieurs patients ayant reçu de très fortes doses d’hydroxychloroquine.

Ces alertes surviennent alors que l’on n’a toujours pas de preuve de l’intérêt thérapeutique de la combinaison hydroxychloroquine-azithromycine dont Didier Raoult (Institut hospitalo-universitaire [IHU] Méditerranée Infection) s’est fait le champion en France.

« Les études s’accumulent, mais aucune ne présente à ce jour une méthodologie suffisamment solide pour trancher », déplorent les pharmacologues Bernard Bégaud et Mathieu Molimard (université de Bordeaux). Le standard en la matière consistant à comparer l’effet du traitement à un placebo sur deux groupes de patients comparables constitués de façon aléatoire, si possible sans que les médecins et les patients sachent ce que ceux-ci reçoivent (double aveugle).

Données disparates

Le professeur Raoult, qui a déjà publié des études sur de petits effectifs manquant de puissance statistique et ayant suscité de nombreuses critiques méthodologiques, a mis en ligne, mercredi 22 avril, les résultats d’« une étude observationnelle non contrôlée et non comparative dans une cohorte de 1 061 patients infectés traités par la combinaison HCQ + AZ pendant au moins trois jours », ainsi qu’elle est décrite.

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A nouveau, l’interprétation bute sur l’impossibilité de comparer cette cohorte à un groupe témoin, même si l’équipe Raoult a fait valoir un taux de létalité de 0,75 % à l’IHU (8 patients décédés), alors qu’il s’élève à 13,5 % chez les malades pris en charge à l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) ne bénéficiant pas de ce traitement. Il faut cependant noter que les patients ayant suivi le « protocole Raoult » à l’AP-HM sont 5,6 % à y être décédés. Et que d’autres études évaluent à environ 0,5 % la létalité du SARS-CoV-2 s’il suit son « évolution naturelle », c’est-à-dire hors traitement spécifique…

Ces chiffres disparates montrent combien il est compliqué d’apprécier l’effet du traitement si l’on ne dispose pas d’éléments pour comparer l’état initial de gravité des patients Didier Raoult préconise de tester tous les malades et de leur administrer le traitement systématiquement (sauf contre-indication) et au plus tôt s’ils sont porteurs du SARS-CoV-2.

Face aux critiques que suscite sa volonté de s’affranchir des essais dits randomisés, le microbiologiste marseillais, qui aime à citer le maréchal Foch, a choisi la contre-attaque. Mercredi, sur Twitter, il a ainsi qualifié de façon très trumpienne de « fake news » des travaux portant sur une cohorte de vétérans de l’armée américaine. Et, sur le site de l’IHU, il a formulé plusieurs critiques. Là aussi, il ne s’agit pas d’un essai randomisé, mais d’une étude rétrospective « sur documents » ayant retracé le devenir de 368 anciens combattants hospitalisés, ayant bénéficié ou non d’hydroxychloroquine et d’azithromycine. Le risque de décès était deux fois plus élevé chez les malades ayant reçu de l’hydroxychloroquine que chez ceux n’en ayant pas reçu, une différence qui s’estompait avec l’ajout d’azithromycine. Cette combinaison ne changeait cependant rien à la probabilité d’être placé sous respirateur.

Etudes cliniques encore en cours

« Méthodologiquement, l’étude américaine comporte des faiblesses, constate Mathieu Molimard, qui anime le site de questions et réponses sur médicaments et Covid-19 de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique. Mais elle comporte des tentatives d’ajustement pour voir ce qui conduit à la réanimation et à la mort, et devance donc certaines des critiques formulées par Didier Raoult. » Contactée par Le Monde, l’équipe américaine répond qu’elle ne peut commenter les critiques du professeur marseillais, le manuscrit étant soumis à une revue scientifique pour publication.

Même réponse d’une équipe parisienne prise à partie sur Twitter par Didier Raoult à propos d’un preprint portant sur 181 patients souffrant d’une pneumonie induite par le SARS-CoV-2 et hospitalisés dans quatre établissements de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Ceux traités à l’hydroxychloroquine n’ont pas bénéficié de façon significative de ce traitement. Là encore, commente Mathieu Molimard, il s’agissait d’une étude non randomisée, rendant difficile toute conclusion définitive.

« Le résultat le plus intéressant, observe-t-il, c’est que, sur 84 patients sous hydrochychloroquine, 8 ont dû cesser le traitement en raison de modifications de leur électrocardiogramme. » Un indice supplémentaire que, même si des études cliniques encore en cours devaient in fine valider le « protocole Raoult », celui-ci resterait à manier avec précaution.

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