abo EXCLUSIF – Les HUG limitent la prescription d'hydroxychloroquine

La Pre Caroline Samer est responsable de l'unité de pharmacogénomique et de thérapies personnalisées des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
La Pre Caroline Samer est responsable de l'unité de pharmacogénomique et de thérapies personnalisées des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont décidé de restreindre la prescription d’hydroxychloroquine, sauf cas exceptionnel, aux patients Covid-19 en essai clinique (voir encadré ci-dessous). Pourquoi un tel revirement, alors que sa prescription était devenue de routine à l’hôpital? S’agit-il du chant du cygne pour l’hypothèse défendue avec tant d’ardeur par Didier Raoult? Nous en avons discuté avec la Pre Caroline Samer, pharmacologue clinique et responsable d’unité aux HUG, qui a participé à l’écriture des recommandations. Entretien.

Heidi.news – Les dernières recommandations des HUG limitent l’emploi de l’hydroxychloroquine contre Covid-19. Qu’est-ce que cela signifie en pratique?

Caroline Samer – Jusqu’à présent on utilisait l’hydroxychloroquine en «off-label», c’est-à-dire en dehors des indications officielles reconnues par Swissmedic en Suisse. Ce genre d’utilisation implique que la responsabilité du prescripteur est mise en jeu, et que le patient soit dûment informé des risques et bénéfices potentiels. C’est d’ailleurs la même chose pour d’autres médicaments utilisés contre Covid-19. Désormais, on réserve pour l’essentiel la prescription de la molécule au cadre d’un essai clinique, comme Solidarity par exemple.

Pourquoi avoir autorisé cette prescription «off-label» en premier lieu?

Il y a deux mois, on avait certaines données précliniques qui semblaient indiquer une action antivirale in vitro, donc un rationnel théorique en faveur de l’efficacité de la molécule. Et puis les données de l’IHU de Marseille, malgré tous leurs biais, pouvaient suggérer que la molécule diminue l’excrétion de virus au niveau du nez et de la gorge. Des données chinoises semblaient aussi soutenir cet effet-là. Tout cela dans un contexte d’urgence, sans molécule efficace. De manière très pragmatique, nous avons donc décidé aux HUG de prescrire l’hydroxychloroquine chez des patients sélectionnés, en vérifiant l’absence de risque cardiaque et de comorbidités, qui accentuent le risque d’effets indésirables voire contre-indiquent son utilisation.

Les nouvelles recommandations témoignent d’une perte de confiance quant à l’intérêt potentiel de la molécule. Quel a été le point de bascule?

D’abord, le temps joue un peu en défaveur de l’hydroxychloroquine: elle a été largement prescrite un peu partout dans le monde et on n’a pas constaté d’effet spectaculaire. Mais surtout, on a désormais des essais cliniques publiés dans de bonnes revues reconnues et à comité de lecture (NEJM, Jama, BMJ), qui concluent tous à une absence d’efficacité. Notamment une grande étude à New York, qui ne montre aucun effet pour améliorer l’état clinique des patients, leur risque de transfert en soins intensifs ou la charge virale détectable. Toutes ces études ont des biais, ce n’est pas définitif, mais on a un faisceau d’indices convergents.

Et les effets indésirables, quant à eux, se précisent.

En effet, on dispose de deux études parues dans Jama Cardiology, l’une lyonnaise et l’autre américaine, qui montrent un effet néfaste de la molécule sur le rythme cardiaque et indiquent que le patient pourrait faire un trouble du rythme potentiellement fatal. Ces données sont corroborées par d’autres essais, comme celui de New York. À cela s’ajoutent les rapports de pharmacovigilance qui commencent à s’accumuler, notamment en France, qui fait état de cinq décès chez des patients traités, ou en Espagne, qui rapporte des dépressions et des suicides. (La molécule a des effets indésirables psychiatrique rares mais identifiés, ndlr.) Au vu de toutes ces données, la balance bénéfices-risques penche vers une utilisation plus restreinte et mesurée.

Il s’avère aussi que les données chez le primate non humain tendent à contredire les résultats in vitro.

Tout à fait. Avant de mettre un médicament sur le marché, on fait d’abord des tests in vitro, sur des cellules, puis in vivo, chez l’animal. Concernant l’hydroxychloroquine, une équipe française a étudié l’effet sur des macaques infectés par le Sars-CoV-2, avec tous les scénarios possibles: à dose faible ou forte, en prévention ou en traitement (précoce ou tardif), avec ou sans azithromycine. Et quel que soit le scénario, le traitement n’a eu aucun impact sur la quantité de virus, alors même qu’on avait atteint des concentrations sanguines et pulmonaires jugées thérapeutiques chez l’homme, ni sur les symptômes ou les imageries pulmonaires. Si on était dans le cadre du développement d’un nouveau médicament, on se serait arrêté là: on n’aurait sans doute pas commencé les essais chez l’homme.

Il y a enfin des arguments d’ordre pharmacologique qui entrent en jeu.

La chloroquine a une très longue demi-vie dans l’organisme, de 30 jours. Pour atteindre des concentrations sanguines satisfaisantes, il faut administrer une première dose très élevée, c’est ce qu’on appelle la dose de charge dans notre jargon. Le protocole employé à Marseille n’emploie pas de dose de charge: dans ces conditions, il faut une dizaine de jours pour atteindre une concentration efficace dans le sang, si on se fie aux études in vitro. Pour moi, en tant que pharmacologue, il y a déjà des problèmes dans les choix de posologie faits à Marseille...

Tout cela concerne l’intérêt de l’hydroxychloroquine dans le traitement de Covid-19. Qu’en est-il de son usage préventif?

On ne peut rien en dire. On n’a pas de données à l’heure actuelle, à part un volet de l’étude française chez les macaques, qui n’a pas donné de différence. Il faut attendre les résultats des essais réalisés chez les professionnels de santé et dans la population générale, dont certains sont en cours aux HUG. Est-ce qu’il y aurait un rationnel ou pas? Ça dépend si l’on croit à l’existence d’un effet antiviral. Pour ma part, je pense que c’est en tout cas le seul domaine où l’hydroxychloroquine pourrait encore témoigner d’un effet, encore que ce soit peu probable. Mais c’est encore un point aveugle.

Au moins 250 essais cliniques sont en cours pour évaluer la chloroquine et ses dérivés contre Covid-19. N’est-ce pas trop? Est-ce que ça ne retarde pas l’évaluation de traitements plus prometteurs?

Oui c’est clairement un problème. La recherche se fait de manière totalement décentralisée, personne ne coordonne au niveau mondial, tout se fait en parallèle avec des doses et des protocoles différentes. Et plus on multiplie les essais, plus on va avoir des résultats divergents. Au niveau éthique, chaque comité devrait maintenant se questionner sur l’intérêt de multiplier les études avec la même molécule.

La section clinique de la Société internationale de pharmacologie dont je suis présidente a d’ailleurs pris position sur ce point. Beaucoup de ces essais cliniques sont futiles et ne vont même pas se terminer, faute de patients ou parce que demain, un gros essai aura définitivement démontré que l’hydroxychloroquine n’est pas efficace. C’est du gaspillage de ressources.



Une prescription plus encadrée

Contrairement à la version précédente (2.4), en date du 8 mai, les nouvelles recommandations des HUG sur l’emploi de l’hydroxychloroquine (version 2.5) dans Covid-19, publiées le 20 mai, précisent:

«Nous recommandons dorénavant de privilégier la prescription de l’HCQ dans le cadre d’un essai clinique, avec un monitoring cardiaque par ECG et en vérifiant l’absence de co-médications allongeant l’intervalle QT (…) avant toute prescription.»

En clair, alors que l’hydroxychloroquine était encore prescrite à la discrétion de l’équipe médicale, elle est désormais essentiellement réservée aux patients inclus dans des essais cliniques. Un changement notable de stratégie, d’autant que les recommandations des HUG sont très suivies en Suisse romande.

Une décision analogue a été prise pour un autre traitement antiviral: le lopinavir-ritonavir (Kaletra), un anti-VIH candidat au repositionnement contre Covid-19, qui a lui aussi donné des résultats cliniques décevants.

Après discussions internes, il a été décidé de conserver la possibilité de prescrire ces traitements pour les patients ne pouvant être inclus en essai clinique, mais à titre exceptionnel et avec une procédure renforcée:

«Pour les patients non éligibles à ces essais, et en l’absence de contre-indications, l’utilisation exceptionnelle de traitements candidats peut être discutée au cas par cas sur avis spécialisé multidisciplinaire.»




[Mercredi 20 mai, 18 heures: l’article a été mis à jour afin d’ajouter la précision concernant le lopinavir-ritonavir.]

[Vendredi 22 mai, 10 heures: l’article a été mis à jour afin qu’il y soit question de «la Pre Caroline Samer» plutôt que le Pr Caroline Samer.]

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