La scène en dit long sur l’ampleur de la pollution dans cette région du Nord-Est syrien. Deux enterrements ont lieu cet après-midi-là, l’un à côté de l’autre, sur les berges d’une rivière de pétrole, noire et miroitante. Étourdis par les vapeurs suffocantes, les proches endeuillés sont réunis sous deux tentes. Dans le village de Kharab Abou Ghalib, jadis entouré de pâturages verdoyants, comme dans bien d’autres endroits en Syrie, le sol est désormais noir pétrole.
Au milieu de ces boues noires omniprésentes, le peu de couleur provient de la rivière, dont la surface huileuse renvoie sous le soleil des miroitements en kaléidoscope. C’est à ce cours d’eau, dévasté par un déversement de pétrole venu l’année dernière d’un site de stockage voisin, que les habitants attribuent l’accroissement notable de la mortalité dans la région. Une accusation qui résonne comme un écho dans de nombreux villages du nord de la Syrie, frappés eux aussi par une pollution croissante.
Rien qu’au cours des quatre jours précédant notre passage, un homme âgé et une femme d’âge moyen sont morts, après avoir souffert de difficultés respiratoires, de douleurs dans la poitrine et d’insuffisance rénale. Ayman, neveu de l’une de ces victimes, assure que dans son village dix personnes sont décédées au cours de l’année écoulée – un chiffre anormalement élevé. Des animaux meurent aussi, et les champs sont devenus stériles. “Nous ne savons pas exactement à quoi sont dues toutes ces morts, mais nous savons que cela a un lien avec la pollution, qui attaque nos poumons et notre système immunitaire”, explique le jeune homme alors qu’il se trouve à côté de la rivière empoisonnée. “L’odeur est si forte que nous n’en dormons pas la nuit. Et nous sommes inquiets, car cela nous rend aussi plus vulnérables face au coronavirus.”
L’une des conséquences de la guerre
Le village de Kharab Abou Ghalib se trouve non loin du grand gisement pétrolifère de Rumeilan, et à 10 kilomètres en aval de Gir Zero, le principal site de stockage de pétrole du nord-est de la Syrie, sur un territoire contrôlé par l’administration kurde.
Bien d’autres villages comme celui-ci, un peu partout en Syrie, sont ravagés par l’industrie pétrolière.
Le pétrole est à la fois la seule manne pour maintenir à flot ce pays déchiré par la guerre et une malédiction meurtrière.”
À perte de vue, les chevalets de pompage du pétrole montent et descendent dans un mouvement lancinant, tels des fidèles en transe. L’horizon en est hérissé, et à ce paysage d’apocalypse s’ajoute la nuit venue la lumière aveuglante et irréelle des torchères. Il y a là des centaines de raffineries artisanales où des ouvriers au visage noirci travaillent dans des brumes toxiques. Les yeux piquent, les poumons brûlent, on respire péniblement.
C’est une autre des conséquences de dix années d’une guerre sanglante en Syrie, qui fait aussi des victimes indirectes. Dans le Nord-Est, les combats au sol et dans les airs ont endommagé, accidentellement ou non, les cuves, les oléoducs, les machines et l’ensemble des infrastructures pétrolières. Quand, en 2014, l’État islamique a conquis une bonne partie de cette zone, les islamistes ont rafistolé ce qu’ils pouvaient pour exploiter le pétrole et ainsi financer le califat. Les gisements et les raffineries sont alors devenus des cibles pour la coalition menée par les États-Unis pour écraser les djihadistes.
Raffineries artisanales
La production de pétrole en Syrie s’est effondrée, de 400 000 barils par jour avant la guerre à entre 20 000 et 30 000 actuellement, selon des spécialistes du secteur. Entre la crise économique profonde, les combats qui perdurent et l’absence d’investissement (due bien souvent à l’inquiétude que suscitent les sanctions contre le régime), les rares sites de production encore en service ne sont guère reconstruits ni entretenus, d’où les inévitables fuites de pétrole et les déversements sauvages de résidus toxiques.
Avec la destruction des raffineries officielles et de l’oléoduc alimentant la principale station de raffinage, à Homs, des milliers de raffineries artisanales sont apparues : toutes rejette
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Fondé en 1986, The Independent est l’un des grands titres de la presse britannique de qualité. C’est aussi le premier quotidien généraliste à être devenu un journal tout en ligne. Pendant l’ère Thatcher, l’équipe avait fait le pari de publier un quotidien qui ne soit affilié ni aux conservateurs ni aux travaillistes. Pourtant, The Independent est aujourd’hui clairement un journal de gauche, proche du Parti travailliste. Surnommé The Indy, il se distingue de ses concurrents par son indépendance d’esprit, son engagement proeuropéen et ses positions libérales sur les questions de société. Dès ses débuts, le journal se distinguait également par sa fraîcheur de ton et par une maquette innovante, faisant la part belle aux photos.
Malgré un succès d’estime, la diffusion du journal, ainsi que celle de son édition dominicale, The Independent on Sunday (97 200 exemplaires en juin 2005), n’a cessé de baisser après les années 1990. En mars 2010, le titre a été racheté pour 1 livre symbolique par Alexander Lebedev, un homme d’affaires russe, également propriétaire du quotidien London Evening Standard. En février 2016, le journal a annoncé l’arrêt de ses éditions papier à partir de la fin de mars 2016.
Alexander Lebedev a par la suite transféré le contrôle des titres à son fils, Evgueni, membre de la Chambre des lords et proche de Boris Johnson. Cible de sanctions occidentales dans le cadre de l’invasion russe de l’Ukraine, il n’a plus aucun lien avec The Independent depuis 2022.