En 2007, les Maldives sont devenues le premier pays au monde à ouvrir une ambassade sur une île virtuelle dans Second Life. Mais ce qui a commencé comme un gag pourrait se transformer en une triste réalité dans les décennies à venir : à cause de la montée des eaux, l’archipel pourrait bientôt ne plus être que virtuel.

Les habitants des Maldives ont déjà pris conscience de la situation : l’expansion de l’océan due au réchauffement climatique a entraîné une ­augmentation du niveau de la mer suffisante pour que les îles soient régulièrement confrontées à des raz de marée. La fonte des glaciers ne fera qu’aggraver la situation. Les différents modèles climatiques disponibles prédisent que les îles seront inhabitables vers 2070, 2050 ou même dès 2030. Toutefois, le pays a choisi de riposter, grâce à un ambitieux programme de restauration de son territoire.
Au cours des quinze dernières années, l’érosion du littoral et la montée des eaux ont causé une diminution progressive de la superficie des îles. Les récifs coralliens, qui voient leur croissance ralentie par l’augmentation de la température de l’eau, et parfois même en meurent, ne sont plus en mesure de protéger l’archipel. Par conséquent, vagues et tempêtes grignotent rapidement les côtes. Ces changements ont déjà des effets dévastateurs. Routes et maisons s’effondrent, happées par la mer, les cocotiers sont emportés, l’eau potable est désormais si contaminée par l’eau de mer qu’elle est impropre à la consommation sur plusieurs îles. Les stations balnéaires, qui représentent le tiers des revenus du pays, sont également touchées.

Des mangroves pour créer une barrière naturelle

Jusqu’à présent, vingt îles [sur près de deux cents habitées] ont été abandonnées – en particulier après le ­tsunami de 2004, qui a donné aux Maldiviens un brutal avant-goût des consé­quences de la montée des eaux. Sur Kandholhudhoo, l’une des îles les plus durement touchées, la vague la plus haute n’était que de 2,5 mètres. Mais quand elle s’est retirée, quelques minutes plus tard, trois personnes étaient mortes et plus aucune maison n’était habitable, si bien que les habitants de l’île ont dû la quitter définitivement. Les eaux continuant de monter et les tempêtes étant de plus en plus fréquentes, il n’y aura même plus be­soin de tsunamis pour infliger de tels dommages. Paradoxalement, les premières tentatives pour résoudre certains des problèmes des Maldives ont fait plus de mal que de bien. Dans les années 1990, le président de l’époque, Maumoon Gayoom, avait entrepris de faire ériger des digues au large des récifs autour de certaines îles en guise de bouclier contre les marées et les tempêtes. Mais, si ces digues se sont avérées efficaces contre les intempéries dans certains endroits, elles ont également réduit le débit des courants qui passaient sur les récifs. Et lorsque le débit passe en dessous des dix mètres par seconde, les coraux meurent, privant les îles de leur protection.

Aussi, Mohammed Nasheed, le président en exercice, envisage plutôt de renforcer les défenses naturelles de l’archipel en restaurant les récifs coralliens et la végétation côtière. Robert Tomasetti, spécialiste en biologie ma­rine qui travaille pour le Banyan Tree Resort, un complexe balnéaire installé sur l’île de Vabbinfaru, a montré que des coraux qui tolèrent la chaleur, greffés sur des cadres en béton ou sur une structure électrique à faible voltage qui stimule la croissance des coraux, sont plus à même de résister à un réchauffement temporaire. A plus grande échelle, cela pourrait préserver une partie suffisante des récifs. Mais, jusqu’à présent, les progrès ont été d’une lenteur exaspérante. “Je rêverais que l’on puisse reconstituer les récifs en y transplantant des coraux résistants dans les parties les plus exposées, explique Tomasetti. Mais nous ne sommes pas équipés pour ça. Alors, pour l’instant, nous nous contentons de faire pousser de jolis récifs pour les touristes.” Mais ce n’est pas qu’une question de ressources. D’après Bruce Hatcher, chercheur en écologie marine à l’Université canadienne du Cap-Breton à Sydney, en Nouvelle-Ecosse, qui a étudié les récifs des Maldives, une réhabilitation de plus grande envergure des coraux n’est pas envisageable. “Actuellement, aucune technologie ne permet de reconstituer des milliers de kilomètres de récifs”, déclare-t-il.

En revanche, la restauration de la végétation côtière pourrait avoir un impact plus sensible. Si Kandholhudhoo a tant souffert du tsunami, c’est entre autres parce que ses mangroves avaient été déboisées, exposant ainsi le littoral aux éléments déchaînés. Faute de racines pour la fixer, la couche arable a été emportée par les vagues. La plantation correctement gérée de mangroves pourrait recréer cet obstacle naturel. Certaines espèces parvenant à maturité en cinq à dix ans, les bénéfices pourraient être assez rapidement perceptibles.

Acheter de nouvelles terres avec l’argent du tourisme

Mais le temps est compté, et d’aucuns estiment que la restauration ne suffira pas à sauver les Maldives. Pour Bluepeace, une ONG locale, le pays doit voir plus grand. Beaucoup plus grand. Ce qu’il faudrait en réalité, assure-t-elle, ce sont des îles artificielles surélevées, éparpillées autour de l’archipel. Selon Bluepeace, sept de ces îles permettraient à l’ensemble de la population des Maldives de prendre de vitesse la montée des eaux. L’association suggère également que le chantier pourrait être financé par la communauté internationale, au motif que celle-ci est responsable du changement climatique. L’idée n’est pas aussi farfelue qu’il y paraît. Une île artificielle au nord-ouest de la capitale, baptisée Hulhumalé, a été inaugurée en 2004. Elle a été principalement conçue pour servir de port commercial et a été érigée à 3 mètres au-dessus du niveau de la mer, de quoi garantir qu’elle tienne jusqu’à la fin du siècle, selon la plupart des estimations. Le gouvernement Nasheed ne prévoit cependant pas de construire d’autres îles de ce genre, estimant que les îles surélevées “coûtent une fortune” et que Hulhumalé a en fait accéléré l’érosion des îles voisines en perturbant les courants marins naturels.

Quoi qu’il en soit, les autorités reconnaissent que, tôt ou tard, les eaux monteront trop haut trop souvent pour que la population puisse rester sur l’archipel. Nasheed s’est donc engagé à consacrer la plus grande part possible des revenus du tourisme à un fonds souverain qui donnerait au pays les moyens d’acheter des terres ailleurs dans le monde quand le moment sera venu. Une idée peu pratique, jugent certains, mais qui, selon Nasheed, est incontournable si les Maldiviens ne veulent pas devenir des réfugiés climatiques.

Quelle que soit la solution adoptée, le destin des Maldives est entre les mains du reste du monde. La survie du pays le plus bas en altitude – et sûrement le plus beau – du monde dépend de nos émissions de gaz à effet de serre et de la façon dont nous souhaitons dépenser notre argent.