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Évolution des mobilités et diffusion du Covid-19 en France : ce que les données Facebook dévoilent

Ligne 13 du metro à Paris le 14 mai 2020. Philippe LOPEZ / AFP

L’étude du lien entre la mobilité des Hommes et des virus est une problématique récurrente de l’épidémiologie, des sciences humaines de la santé et plus largement de la santé publique. À la faveur de la pandémie de Covid-19 et des mesures de confinement prises par les états, celle-ci émerge de manière spectaculaire dans la sphère publique.

Pour autant, si de nombreuses recherches scientifiques traitent du lien entre mobilités et diffusion des virus à l’échelle internationale, plusieurs – minoritaires – mettent en avant la nécessité d’intégrer à l’analyse les mobilités nationales et régionales. Jusqu’à présent, ces données de mobilité étaient aux mieux parcellaires, agrégées spatialement et limitées dans le temps, lorsqu’elles existaient. Quand la diffusion des virus s’opère avant tout à une échelle fine, cette lacune ne favorisait pas la résilience des territoires faisant face à une circulation croissante des virus émergents.

Depuis peu, de plus en plus d’opérateurs de la téléphonie et des réseaux sociaux mettent à disposition – quasiment en temps réel – des données qui permettent aux scientifiques de relier les mobilités humaines et celles des virus. Nous présentons ici les premiers résultats d’une recherche collective, décodant les données de mobilités des utilisateurs mobiles du réseau social Facebook en France métropolitaine.

À partir des données disponibles pour la recherche universitaire sur la plate-forme Facebook Data for Good, nous sommes en mesure d’apprécier l’évolution des mobilités de plus de 4,5 millions d’utilisateurs âgés de 18 ans et plus, soit 8,8 % des Français dans cette tranche d’âge. Le mode de détection est passif, complètement anonymisé et aucune information individuelle sur les utilisateurs n’est transmise. Pour que les utilisateurs soient localisés, il faut seulement qu’ils aient accepté leur géolocalisation par l’application.

En renseignant la localisation des utilisateurs et les mouvements opérés par ces derniers toutes les 8 heures (1h, 9h et 17h), ces données se prêtent parfaitement à l’analyse des régularités et des changements de mobilités liés à des évènements particuliers. Elles sont regroupées par tuiles de 6,2 kilomètres de côté. L’utilisation de telles données ne doit donc pas se faire sans avoir à l’esprit de possibles biais de représentativité.

Ils sont liés principalement au biais d’autosélection : l’échantillon est constitué par la propre volonté des utilisateurs (en dépit d’une possible opacité de la politique de données de Facebook à leurs yeux) et certaines populations peuvent en être exclues. En effet, l’utilisation de réseaux sociaux peut difficilement être considérée comme totalement homogène au sein de la population française.

Une baisse des mobilités importantes pendant le confinement, une hausse précédant le déconfinement

À l’échelle nationale, les données issues de cet échantillon soulignent un recul important des déplacements de 6,2km et plus. Le nombre d’individus ayant changé d’unité spatiale entre 2 pas de temps s’effondre, passant de plus de 900 000 individus au 13 mars à 210 000 individus au 28 avril à 17h. Les mesures de confinement ont donc été très largement suivies, ce qui a vraisemblablement eu un effet considérable sur la maîtrise de la diffusion de l’infection virale et pour contenir la pression sur le système hospitalier.

Évolution du nombre d’individus en mouvement (plus de 6,2km) en France métropolitaine (hors Corse) entre le 05 mars et le 11 mai. Facebook Data for Good, Olivier Telle

Les données Facebook expriment également un fléchissement relatif du confinement avant la date de fin du 11 mai : avec une hausse de 130 000 utilisateurs supplémentaires en mouvement. Les mobilités enregistrées raugmentent en effet de 68 % le 5 mai en comparaison avec celles du 26 mars. La moyenne mobile à 7 jours confirme cette tendance. Il s’agit pour l’essentiel d’une augmentation des mobilités à courte distance, c’est-à-dire en dessous de 15 km. Autrement dit, cette hausse concerne pour l’essentiel une reprise des circulations domicile-travail dans les grands bassins d’emplois. L’Inserm a dans un rapport récent fait état, pour les premières semaines du confinement, d’une réduction accrue des déplacements dans les régions concentrant une importante population active mais elle n’a pas tenue nécessairement jusqu’au 11 mai.

En ce sens, la notion de « relâchement du confinement » n’est peut-être pas l’expression la plus appropriée, car les personnes en mouvement sont possiblement des travailleurs contraints de reprendre leurs navettes domicile-travail, dans les secteurs industriels et du BTP notamment. Enfin, on repère une augmentation attendue du nombre d’individus lors de la journée du déconfinement (le 11 mai) puisque 808 000 personnes ont évolué d’une unité à une autre entre 9h et 17h. Pour autant, ce chiffre n’atteint pas encore celui du contexte préconfinement et marque une reprise prudente.

Les villes se désemplissent, les espaces de villégiatures se densifient

Si une baisse drastique des mobilités caractérise le territoire français, une part significative des familles a fait le choix d’une relocalisation de sa résidence à la suite de l’annonce du confinement.

Les grandes villes françaises affichent ainsi une disparition considérable de leurs utilisateurs. On dénombre ainsi 40 000 individus en moins dans Paris (soit 43 % de l’ensemble des utilisateurs de la capitale), 6 500 pour Toulouse et Lyon (27 % et 28 %), 3000 pour Lille et Bordeaux (33 % et 35 %) entre le 16 mars et le 3 mai, à 17h. En rapportant ces chiffres a l’ensemble de la population, avec un ratio utilisateurs/population, ce serait donc près de 850 000 individus de moins uniquement pour Paris.

À l’inverse des centres métropolitains, nombre de lieux habituellement prisés des vacanciers – principalement localisés entre le sud de la Normandie et le sud des Pyrénées-Orientales – voient leur population augmenter significativement à cette période inhabituelle de l’année (carte 1). Même si cet accroissement est relatif au faible nombre d’habitants de ces espaces, plus de 3 000 petites localités – de moins de 1 000 utilisateurs – voient leurs nombres d’usagers augmenter de plus de 10 %. Offrant un cadre recherché pour passer cette période : Le Cap Ferret, Barbizon, Ploulec’h, l’île de Ré ou encore Gordes, attirent entre 30 et 40 % d’individus en plus par rapport à la période préconfinement.

Joggeur sur la plage de La Baule, le 13 mai 2020. Loïc Venance/AFP

L’observation des différences entre les localisations relevées du dimanche 15 au mardi 17 mars et les mêmes jours lors de la semaine précédente permet de préciser les stratégies de relocalisation opérées à l’approche du confinement. La carte des flux indique une hausse des mobilités à longue distance depuis Paris vers Bordeaux, Marseille, Nantes, Toulouse, Rennes, etc. Dans un second temps, les mobilités augmentent depuis ces grandes villes et les espaces de villégiatures proches. On note également une augmentation forte des mobilités depuis les stations de ski alpines vers les grandes villes (Lyon, Paris) ; cette hausse est liée à la fermeture des stations. Ces observations confirment les tendances approchées par l’Insee en collaboration avec Orange. L’isolement du Grand Est, foyer de contamination majeur, apparaît aussi très nettement ; la région est coupée du reste du pays.

Évolution de la population et des mobilités longues distances (plus de 70km) entre le 14 et le 17 mars en comparaison a la semaine précédente. Facebook Data for Good, Olivier Telle

Outre l’augmentation de certains flux, d’autres – représentés en blanc sur la carte – font état d’une baisse des mobilités depuis les périphéries vers le cœur des villes. Paris intra-muros subit de plein fouet cette baisse des migrations pendulaires entrantes. La mise à l’arrêt de la plupart des entreprises induit une baisse mécanique de ces mobilités entre périphéries et centres urbains. On observera encore que les habitants des périphéries n’ont pas dans leur grande majorité, peut-être faute de moyens, pu mettre en œuvre des stratégies de relocalisation vers des espaces moins denses.

On observe ainsi deux phénomènes conjoints pouvant justifier la baisse drastique des utilisateurs dans les grandes villes françaises en général, et de Paris en particulier : une suspension des mobilités périphéries-centres urbains conjuguée à une hausse des mobilités sortantes à longue distance. En somme, on ne peut imputer la baisse du nombre d’utilisateurs dans le cœur urbain de Paris qu’à un exode des habitants, même si nos données repèrent effectivement certains mouvements inhabituels à l’approche du confinement.

Ce constat avait d’ailleurs déjà été observé lors du confinement en Inde avec la même approche.

L’intégration des mobilités entre départements

La maille des départements est certes trop large pour traiter la question de la diffusion des épidémies, mais c’est à cette échelle administrative que seront prises les mesures de déconfinement. Comme pour les mobilités à 6,2 km, nous repérons une baisse de 85 % des mobilités interdépartementales puisque 850 000 individus traversent les frontières départementales le 3 mars entre 9h et 17h, contre 210 000 le 28 avril à la même heure.

Contrôle de la température d’un enfant devant l’école Saint-Exupery à La Courneuve (93) le 12 mai. Martin Bureau/AFP

Si les mobilités interdépartementales sont concentrées fin avril dans la région parisienne (plus de 190 000 mouvements convergents), la Seine-Saint-Denis apparaît dorénavant comme la principale zone de convergence post-confinement, devant Paris intra-muros, qui occupait cette position avant le confinement. Il s’agit du bassin d’emplois resté le plus actif, où se concentrent des activités de services essentiels au confinement dans les secteurs de la santé, de l’alimentation, de la logistique, de l’internet et des télécommunications… À l’inverse, les Hauts-de-Seine semblent plus fortement affectés. La forte tertiarisation du bassin d’emploi du 92 offre une plus forte flexibilité au niveau du télétravail, comme l’illustre l’exemple de la Défense, 1er quartier d’affaires en Europe, où 98,5 % des employés auraient été mis en télétravail.

Le fait que la Seine Saint-Denis soit le deuxième département le plus affecté de France par l’épidémie laisse à penser qu’une relation pourrait exister entre mobilités lors du confinement et nombre de cas à l’échelle départementale.

Évolution des mobilités entrantes, par zone et entre les espaces de l’Ile de France. Facebook Data for Good, Olivier Telle

Une mobilité interdépartementale qui compte dans la diffusion du SARS-CoV-2

Notre première analyse épidémiologique révèle que l’augmentation des cas reste, après le confinement, extrêmement polarisée dans les départements originellement affectés. Ce modèle de diffusion hyperlocalisé a déjà été mis en évidence à Delhi et à Vientiane pour la dengue par notre équipe (réunissant l’Institut Pasteur, le CNRS en France et le National Institute of Malaria Research en Inde). Le comportement du Covid-19 n’est donc pas unique en son genre. Les modèles de diffusion de la pandémie actuelle devraient en tenir compte, en surveillant l’apparition des premiers cas à une échelle fine ; une fois la maladie ancrée dans un territoire, il est souvent trop tard pour agir.

Pour autant, outre ce modèle de diffusion relativement classique, notre modèle révèle également que plus un département connecté à un autre recense un nombre de cas important, plus le nombre de nouveau cas sera important dans le département de destination. En somme, la mobilité interdépartementale est – même en période de confinement – responsable d’une diffusion du virus entre les départements. C’est évidemment un élément crucial qui laisse présager une hausse du nombre de cas lors du déconfinement.

Quelle utilisation hors période de confinement

Si le cadre d’utilisation des données de mobilité capturée par les réseaux sociaux ou les acteurs de la téléphonie doit être clairement défini en amont – celles-ci pouvant présenter des lacunes de représentativité importantes – leur usage responsable permet de changer de paradigme lorsque l’on aborde la question des liens entre mobilités routinières et diffusion des pathogènes. Ces données renseignent quasiment en temps réel sur les pratiques de mobilités à large échelle et sur leurs éventuelles évolutions. Elles favorisent ainsi la compréhension des modèles de diffusion des virus sur les territoires en intégrant une composante essentielle du risque infectieux : celle des mobilités collectives. Nous avons déjà souligné la nécessité d’accéder et d’exploiter de telles données pour faire avancer l’analyse et la modélisation du risque épidémique ; la crise liée à la pandémie de SARS-CoV-2 a considérablement accéléré leurs mises à disposition.

La connaissance claire et précise des caractéristiques des mobilités quotidiennes, tant à l’échelle des régions urbaines que de l’hexagone, est fondamentale pour préciser la diffusion épidémiologique du SARS-CoV-2 et l’efficacité des mesures de santé publique. En intégrant les mouvements de population repérée avant le confinement, des simulations peuvent préparer nos sociétés à mieux localiser les zones ou maintenir une régulation des mobilités individuelles. Enfin, et dans la mesure où les schémas de mobilité de la population tendent, au moins à court et moyen terme, à être stables, les analyses spatio-temporelles de la propagation virale fourniront un modèle pour toute épidémie ultérieure. Pour autant, si la disponibilité et le déchiffrement de ce type de données augmentent, il faut également que les données épidémiologiques soient rendues disponibles rapidement et à une échelle plus fine que celle du département.

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