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Glyphosate : sept questions autour d'un jugement à risques pour Bayer

La lourde condamnation infligée à sa filiale Monsanto en Californie, accusée d'avoir provoqué la leucémie d'un jardinier qui avait utilisé son produit vedette, le glyphosate, fait peser un risque financier majeur sur le groupe allemand. D'autant que d'autres contentieux sont en cours. Les clefs d'un dossier miné.

Werner Baumann, président du Conseil de Bayer, a été le promoteur actif d'un rachat de Monsanto.
Werner Baumann, président du Conseil de Bayer, a été le promoteur actif d'un rachat de Monsanto. (AFP)

Par Catherine Ducruet, Raphaël Bloch

Publié le 14 août 2018 à 07:50Mis à jour le 14 août 2018 à 11:17

Le cours de l'action Bayer a chuté de 10,3 % en bourse lundi après le verdict d'un jury de Californie condamnant Monsanto (qui a fait appel) à indemniser à hauteur de 289 millions de dollars un jardinier accusant le glyphosate d'être la cause de la leucémie dont il souffre. Tour d'horizon des questions posées par ce jugement.

1. Pourquoi Bayer a-t-il racheté Monsanto ?

Dès son annonce, l'acquisition de Monsanto, en raison de sa réputation désastreuse, avait créé l'inquiétude.« Notre objectif consiste à créer un leader dans l'agriculture », avait expliqué Werner Baumann, le président de Bayer, dans un communiqué saluant le feu vert américain à la fusion. Dans sa logique, le rachat de Monsanto était considéré comme un impératif pour rester dans la course, après le rapprochement des américains Dow et DuPont et le rachat par ChemChina du suisse Syngenta qui lui ouvre les portes du marché chinois.

Bayer craignait, s'il ne tentait rien, d'être relégué au fond du classement, voire de devenir une proie. Grâce à la position de Monsanto dans les semences, il espère devenir un leader dans ce domaine. La R&D très active de l'américain l'intéresse aussi pour assurer le renouvellement des produits et explorer de nouvelles pistes. Comme la mise au point de produits dits « naturels », capables de se substituer aux actuels phytosanitaires ou à l'agriculture de précision. Cette méthode industrielle, à force de capteurs, de drones et de traitement de données, ambitionne de maîtriser les facteurs non climatiques influençant les récoltes.

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2. Combien de procédures sont en cours, et où ?

Monsanto est visé par des milliers de plaintes. La plupart ont été déposées aux Etats-Unis, où les associations évoquent 5.000 dossiers en cours, mais souvent au point mort faute de preuves de l'impact du glyphosate sur leur santé. Avec cette première condamnation, ces milliers de dossiers en attente pourraient s'accélérer, notamment en Californie où 400 victimes présumées du glyphosate espèrent un procès.

Dans le reste du monde, Monsanto est également visé par des plaintes. Mais elles sont beaucoup moins nombreuses et plus isolées. En France, un couple a assigné Monsanto en justice en 2017, accusant le glyphosate d'être responsable des malformations de naissance de leur fils. En juin, le parquet de Lyon a ouvert une enquête contre Bayer pour « administration de substances nuisibles » après la plainte d'un syndicat d'apiculteurs qui avait trouvé du glyphosate dans du miel.

3. Quel est le risque financier pour Bayer ?

Les investisseurs estiment la facture potentielle de la décision californienne entre 5 et 10 milliards de dollars en intégrant de possibles accords à l'amiable avec un grand nombre de requérants. « Si chaque procès perdu coûte un quart de milliard de dollars, il n'en faut pas beaucoup pour que ça devienne assez cher », observe Michael Leacock, analyste chez MainFirst, cité par l'AFP. Dans une note, Barclays redoute davantage l'impact de la baisse du prix du produit sur les comptes de Bayer. La dette de ce dernier a grimpé à 30 milliards d'euros et une augmentation de capital de 6 milliards a été annoncée pour financer l'opération. Cela a conduit les agences de notation financière S&P, Moody's et Fitch à revoir à la baisse leur note de crédit de Bayer.

4. D'autres produits de Monsanto sont-ils sujets à caution ?

Monsanto n'a plus guère d'autres produits que le Roundup (à base de glyphosate) après l'arrêt du Lasso, un autre herbicide très utilisé dans les années 1990, qui fait aussi, en France, l'objet d'un procès intenté par un agriculteur.

5. Les concurrents de Monsanto qui utilisent le glyphosate risquent-ils aussi des procès ?

Théoriquement, tous les produits commerciaux incluant du glyphosate peuvent faire l'objet de procès. Cette substance, très largement vendue sous forme de génériques aujourd'hui - ils représentent 80 % des ventes en France, par exemple -, est ainsi utilisée dans le Durango de Dow, l'Abundit de DuPont ou Extreme Herbicide de BASF. Des procès sont d'ailleurs en cours aux Etats-Unis, où l'usage du produit est beaucoup plus massif qu'en Europe.

6. Le glyphosate va-t-il être interdit ?

La question se pose avec encore plus d'acuité après la décision du tribunal de San Fransisco, alors que le glyphosate n'est interdit nulle part sur la planète. Seuls quelques pays, comme l'Argentine, le Salvador ou le Sri Lanka, en ont limité l'usage. Au Brésil, une juge de Brasilia a ordonné la suspension pour trente jours de l'enregistrement auprès des autorités de tout nouveau produit à base de l'herbicide.

C'est en Europe que l'hypothèse d'une interdiction du glyphosate est la plus probable, même si les parlementaires européens ont renoncé il y a quelques mois à l'interdire tout de suite. Les élus de Bruxelles ont voté pour un renouvellement de cinq ans de la licence de l'herbicide en Europe, notamment parce que l'Agence européenne de sécurité alimentaire (l'Efsa) n'avait pas classé le produit dans la catégorie des produits cancérigènes. En France, le gouvernement a renoncé à interdire le glyphosate d'ici à 2021. Il s'est engagé à une interdiction du glyphosate « dans ses principaux usages » à cette date, et « pour tous les usages » d'ici cinq ans.

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7. Quel serait l'impact d'une interdiction du glyphosate sur le business model de Bayer ?

Monsanto a bâti son modèle sur la complémentarité semences-phytosanitaire pour tout ce qui est de la tolérance aux herbicides. L'interdiction du glyphosate menace donc non seulement les ventes du produit lui-même, mais aussi celles des semences associées. En tout cas aux Etats-Unis et en Amérique du Sud, « car les semences de Monsanto tolérantes au Roundup ne sont pas commercialisées en Europe », explique Frank Garnier, président de Bayer en France, où on utilise des herbicides sélectifs. En Europe, le glyphosate est principalement utilisé pour préparer le terrain avant semi pour les céréales (mais pas pendant) et pour désherber en arboriculture ou dans les vignes. Et « Monsanto n'a pas attendu le procès actuel pour travailler au renouvellement de ses produits. Des semences tolérantes à d'autres herbicides que le glyphosate sont en préparation », indique Frank Garnier.

Catherine Ducruet et Raphaël Bloch 

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