View of a farm taken on November 11, 2008 in the French city of Tarnac where alleged anarchists have been arrested earlier. French police raided alleged anarchist cells in three cities today and arrested at least 10 suspects following a series of sabotage attacks on the country's high-speed rail network. AFP PHOTO JEAN-PIERRE MULLER

View of a farm taken on November 11, 2008 in the French city of Tarnac where alleged anarchists have been arrested earlier. French police raided alleged anarchist cells in three cities today and arrested at least 10 suspects following a series of sabotage attacks on the country's high-speed rail network. AFP PHOTO JEAN-PIERRE MULLER

L'Express

Le 11 novembre, une centaine de policiers encagoulés investissent une ferme de Tarnac (Corrèze). Neuf militants libertaires, appréciés dans le village, sont arrêtés, suspectés d'"association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste". On leur reproche d'avoir désorganisé le réseau ferroviaire en sabotant des lignes TGV à l'aide de crochets métalliques. Le dossier est-il vide, comme l'affirment leurs proches? Sont-ils des terroristes, comme les enquêteurs semblent le croire? Un document judiciaire dont L'Express a eu connaissance -l'arrêt de la chambre de l'instruction de Paris du 2 décembre- permet d'en savoir davantage sur cette enquête controversée.

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Un sac à dos trouvé au Canada

L'affaire des "neuf de Tarnac" débute loin des vieilles pierres de leur fief ­corrézien, le domaine du Goutailloux. Le 31 janvier 2008, à la frontière entre les Etats-Unis et le Canada, la gendarmerie royale canadienne découvre un sac à dos abandonné dans une voiture. A l'intérieur: la copie du permis de conduire d'un Français, Julien Coupat, 34 ans, entré illégalement aux Etats-Unis avec son amie, Yildune Lévy; des notes retranscrivant les débats d'une réunion anarchiste organisée à New York du 10 au 15 janvier; et quelques photos de Times Square, à Manhattan. C'est là qu'un mois et demi plus tard, le 6 mars 2008, un attentat à la grenade endommage un centre de recrutement de l'armée américaine. Les gendarmes canadiens font le rapprochement avec le sac découvert en janvier et alertent Paris. En avril, le parquet lance une enquête préliminaire pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste". Ce sera le point d'ancrage des investigations confiées à la sous-direction antiterroriste (Sdat) de la police judiciaire, épaulée par la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI).

La nuit des saboteurs

Le vendredi 7 novembre, les policiers suivent la Mercedes immatriculée 277 AEX 76 qu'utilisent Julien et Yildune. Ils les soupçonnent de vouloir s'opposer au passage du train "Castor", un convoi de déchets nucléaires à destination de l'Allemagne. Selon le rapport de surveillance, Julien se montre très méfiant au point de s'arrêter en pleine voie sur l'autoroute... comme s'il cherchait à déjouer une éventuelle filature. A Trilport (Seine-et-Marne), les deux jeunes gens jettent dans une poubelle un emballage de lampe frontale, des guides du réseau SNCF et des horaires de TGV. Ils reviennent parfois sur leurs pas, comme s'ils cherchaient, une fois de plus, à détecter tout signe de surveillance.

A 4 heures du matin, la Mercedes s'arrête à Dhuisy (Seine-et-Marne) à l'aplomb de la voie de TGV Est. Selon les enquêteurs, Julien et Yildune y restent "vingt minutes" avant de regagner Paris. Les policiers inspectent alors les voies, mais pas les caténaires. Au passage du premier TGV, à 5 heures, une "gerbe d'étincelles d'une intensité anormale et un mouvement d'oscillation" se déclenchent. La motrice poursuit sa route. Dans la soirée, les enquêteurs apprendront qu'elle a été endommagée par un fer à béton placé sur les caténaires à Dhuisy, l'endroit précis où stationnait la Mercedes. Entre-temps, trois actions similaires ont eu lieu, sur des lignes TGV dans l'Oise et dans l'Yonne. Des milliers de voyageurs sont restés à quai. Au ministère de l'Intérieur, on est certain de tenir les saboteurs. A commencer par leur chef supposé: Julien Coupat.

Un témoin anonyme

"Terroriste" présumé pour la justice ; idéaliste"ayant fait un choix de vie différent et généreux" selon son père: la personnalité de Coupat alimente la polémique. Ce trentenaire qui a suivi de brillantes études de commerce à l'Essec semble très respecté par ses amis de Tarnac, ces jeunes gens qui ne se contentent pas tous d'un retour à la terre... Certains ont en effet l'habitude de se joindre aux manifestations de soutien aux sans-papiers et de lutte contre le fichage génétique. Les policiers présents à Vichy (Allier), le 3 novembre, à l'occasion de la rencontre des ministres de l'Intérieur européens, affirment disposer de clichés montrant leur expérience de la guérilla urbaine. D'après l'arrêt de la chambre de l'instruction de Paris, "Julien Coupat oeuvrait comme un véritable stratège de l'émeute" à la tête d'une cinquantaine de personnes au visage masqué. Toujours selon ce document inédit, un témoin -dont l'anonymat est préservé- décrit Coupat comme "manipulateur, appelant au renversement de l'Etat, la vie humaine étant parfois considérée comme inférieure au combat politique". Des accusations contestées par son comité de soutien.

Au final, même si aucun ADN n'a été relevé à Dhuisy, les soupçons contre Julien Coupat et son amie paraissent donc lourds. En garde à vue, ils ont refusé de s'expliquer sur quoi que ce soit. Le 15 décembre, ils étaient les seules personnes encore incarcérées dans ce dossier.

Et les autres?

Les charges qui pèsent sur les sept ­autres militants arrêtés semblent beaucoup plus légères. Ces quatre femmes et trois hommes sont sous contrôle judiciaire, soupçonnés d'"association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et non de "destructions". Plusieurs d'entre eux avaient été contrôlés par la gendarmerie dans la nuit du 7 au 8 novembre, à proximité de la ligne TGV Est, mais aucun acte de malveillance n'avait été commis dans les environs.

La mère d'un membre du groupe a par ailleurs précisé que sa fille et Julien Coupat étaient passés chez elle, à Baccarat (Meurthe-et-Moselle), le 25 octobre. Vers minuit, ils seraient sortis pour ne rentrer qu'à l'aube. La nuit où, justement, un fer à béton avait été déposé sur la ligne TGV Est Paris-Strasbourg, à 70 kilomètres de là... Une sorte de répétition générale avant le grand soir? Là non plus, les enquêteurs ne disposent d'aucun élément matériel pour étayer leurs soupçons.

La piste allemande

Le combat de Julien Coupat épouse celui d'un bon nombre de jeunes Européens, écologistes, altermondialistes ou anarchistes. Voilà pourquoi l'affaire des "neuf de Tarnac" suscite une telle mobilisation dans les rangs de l'extrême gauche (voir l'encadré). Il faut dire que Coupat a beaucoup voyagé ces dernières années: New York, Isola San Giorgio (Italie), pour un forum sur l'écologie en 2004, ou Thessalonique (Grèce), en septembre dernier. L'enquête elle-même a fait un détour par l'Allemagne. Le 10 novembre, le quotidien berlinois Taz a reçu un courrier, qui aurait été posté à Hanovre, revendiquant les actions commises contre les réseaux ferrés allemand et français.

Des magistrats divisés

La justice a qualifié l'affaire de "terroriste", même si, à l'évidence, ses auteurs ne cherchaient pas à faire de victimes. Au parquet de Paris, on fait valoir que cette notion ne se ­limite pas aux attentats et aux assassinats? Selon le Code pénal, elle peut s'appliquer à de "simples" dégradations, à condition que leurs auteurs aient "pour but de troubler gravement ­l'ordre public par l'intimidation ou la ­terreur". Une analyse qui ne fait pas l'unanimité dans les rangs de la ­magistrature: le juge spécialisé Gilbert Thiel a fait part de ses réserves dans un entretien à Libération. Au cours de l'instruction, le juge chargé du dossier, Thierry Fragnoli, aura la possibilité de requalifier les faits, par exemple, en "dégradations volontaires".

Une enquête "politique"?

Depuis son arrivée Place Beauvau, Michèle Alliot-Marie s'inquiète de l'effondrement du Parti communiste. Cet affaiblissement ouvre, selon elle, la voie à des revendications moins organisées et plus violentes. Cette pression politique du ministère de l'Intérieur, associée aux risques ­encourus par les usagers et aux impératifs économiques de la SNCF, a conduit à précipiter les interpellations sans attendre de preuves formelles. Faute de flagrant délit, d'aveux ou d'indices retrouvés en perquisition, les investigations apportent des réponses partielles à ces sabotages d'ampleur inédite.

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