Thierry Casasnovas : l’avez-vous cru ?

A travers des centaines de vidéos postées sur YouTube, Thierry Casasnovas explique à ses ouailles comment retrouver « l’état naturel » de « pleine santé ». Il faudrait pour cela « changer de vie », en commençant par son alimentation, parce que « notre mode de vie ne respecte pas le rythme de vie physiologique ».

Les petites recettes de Thierry sont les suivantes : manger des fruits et légumes crus, boire des jus, faire des lavements, se brosser la peau, sauter sur un trampoline, etc.
Pour vous aider, il vous propose, dans sa boutique associative « Regenerescence », de nombreux produits, dont le fameux extracteur de jus, pouvant coûter jusqu’à 1 390 € ou le T-Shirt RGNR, pour seulement 19 €.

Biologiste, médecin, coach, naturopathe, commerçant, comédien, animateur de vidéos, gourou ? Ses fans et ses détracteurs n’auront certainement pas le même avis sur la question. Pour se faire son opinion sur son action, mieux vaut bien comprendre d’où vient ce personnage et quels sont ses objectifs.

Le cru ou le Christ ?

Sa révélation du crudivorisme, puis de la régénérescence est présentée, à travers son histoire personnelle comme une sorte de rédemption : « j’étais quelqu'un de colérique, d'agressif, de querelleur... Cela a disparu et je suis devenu doux, paisible ».

Il explique, dans une interview à « La France crue », avoir « été accueilli par une personne qui était crudivore depuis plus de trente ans » qui lui « a donné les rudiments de ce mode alimentaire ». Il revenait apparemment de loin souffrant « d’une tuberculose très avancée, une hépatite C et une pancréatite aiguë ». Il dit qu’il pesait « à peu près 30 kilos pour 1m75. Entre ses 27 ans et ses 33 ans, il dit avoir « passé quasiment sept ans d'agonie ».

Dans une vidéo, publiée par « Expérience Chrétienne », le même Thierry Casasnovas nous propose un autre storytelling, plus christique, de sa rédemption. « Menteur, voleur, trompeur, usurpateurs, violent », il dit avoir vécu une période noire de sa vie, attiré par l’ultra violence avec des comportements déviants à tous les niveaux.

A l’âge de 33 ans, le jeudi de la semaine sainte, un incendie de son logement le rend en situation très précaire. Recueilli alors par ses parents, il dit avoir été « convaincu de pécher » et a alors demandé pardon envers ceux à qui il a fait du mal. Ensuite, après une période de rechute, en 2012, une psychiatre rencontrée via un forum en ligne et son mari pasteur, qui l’hébergeaient, lui auraient « annoncé la bonne nouvelle » : « que le Christ pouvait être vivant en moi », le « grand bouleversement de sa vie ».

Ces deux récits de la même période de sa vie sont-ils complémentaires, compatibles, concurrents ? Il faudrait lui poser la question. En tout cas, sur Internet, il exploite beaucoup plus le filon du crudivorisme que celui du christianisme. Un souci de respect de la laïcité ?

Régénérer, un bon équilibre ?

L’idée-force de son site internet « Régénere », anciennement « Vivre cru », et de ses conseils vidéos est de manger des fruits et légumes crus. Pour lui, seuls ces aliments peuvent « détoxiner » et « alcaliniser » notre corps pour le « régénérer ». Tous les autres aliments seraient source d’excès de produits acides et de toxines, déséquilibrant notre physiologie, et par conséquent à l’origine de l’ensemble de nos troubles et maladies, y compris cancer, sclérose en plaques ou dépression.

Pour Jean-Michel Lecerf, chef du service nutrition de l'Institut Pasteur de Lille, interrogé par Rue 89 :

Soit, mais il faut reconnaître à Thierry Casasnovas, qu’il ne recommande pas à tous de « manger uniquement des fruits et légumes ». Il incite ses fans à le faire, en fonction de leurs possibilités, en grande quantité et, si possible, en utilisant les extracteurs de jus, proposé par la boutique de son site.

Un discours complotiste

Il n’impose rien, il donne des conseils, fait part de sa vision du corps humain, de son fonctionnement, de ses besoins. Au-delà, il dit parler « d’alimentation à tous les niveaux nutrition, relations, environnement ». Pour lui « tout notre mode de vie nous conduit à être malade physiquement, psychiquement, émotionnellement ».

Il fait donc partager à ses fidèles, une certaine vision du monde, notamment avec sa vidéo « Pourquoi je ne suis pas aimé (par Rue 89 entre autres...) ».

Dans un discours complotiste et victimaire, il explique qu’il ne « pousse pas à la révolution, mais juste à poser des questions » sur notre culture, notre manière de vivre.
Pour lui, « nous sommes les pions d’une idéologie qui est en train de nous broyer ». Selon Thierry Casasnovas, « le soin, ne nous est pas offert dans notre société ». Il y a uniquement « des thérapeutes, à condition que tu banques », « tout le monde s’enrichit sur ta maladie ».
Concernant l’éducation, il pousse à se détourner du « système éducatif normatif » vers « des choix d’éducation qui sont collectivement choisis dans nos communautés, en fonction de nos besoins ». Il explique que nous sommes victimes d’une « espèce de conspiration folle », qui « dès ton plus jeune âge », « te fait lever le matin pour aller à l'école. A 3-4 ans, on te donne quasiment un rythme de vie d'entreprise ».

Il pousse donc « à boycotter l’industrie alimentaire, le système de santé, le système éducatif », pour « revenir à un monde à notre dimension ».

Selon lui, ce qui explique que « que certaines personnes âgées qui mangent à peu près n'importe quoi n'aillent pas si mal », c’est parce qu’à leur époque « les choses n’allaient pas si mal, le rythme de vie n’avait rien à voir ». Un âge d’or ? Un rythme de vie plus serein ? Quand les ouvriers travaillaient dans les mines ou faisaient les trois-huit dans des usines ?
En suivant sa logique, pour suivre l’expérience rédemptive de Thierry Casasnovas et atteindre son état de bien-être, il vaudrait mieux donc ne pas travailler. Lui, d’ailleurs, il n’a « pas envie », il « n’aime pas travailler », il se dit «très peu patient et incapable de planifier les choses ».

Ainsi, le rythme standard de vie de notre société ne lui convient pas. Après une période de grandes difficultés, Il a trouvé les moyens d’échapper un peu à cela et à s’épanouir, à la marge. Il souhaite le faire partager au plus grand nombre et malgré tous les torts qu’il impute à notre société, comme il le dit, « heureusement qu’il y a YouTube qui nous permet encore de nous exprimer ».

Thierry Casasnovas, un exemple à suivre ?

Pour Thierry Casasnovas, Internet est plus qu’un moyen de parole, c’est ce qui lui permet de vivre. Que ce soit fait de manière honnête ou pas, de manière bénéficiaire ou juste équilibrée (lire à ce propos : La très juteuse générosité du gourou du « manger cru »).

Avec son approche globale, et son activisme, sur des questions de santé et plus largement de bien-être dans la société, il est sur de toucher un très large public.

Vu le nombre de vidéos et leur excellent référencement, toute personne vulnérable (malade, dépressive) ou en recherche de réponses peut être interpellée par son approche. Et, en regardant ses vidéos et en achetant les produits de sa boutique, elles permettent à Thierry Casanovas d’avoir les moyens de vivre.

Pour autant, l’expérience, l’activité et le mode de vie qu’il décrit conviennent-ils à tous ? Il y a de fortes raisons d’en douter. Il le dit lui-même. « Ce qu'on appelle l'ère numérique porte en elle un bon coup d'accélérateur : tu es soudain en relation avec des milliers de gens. C'est grisant, mais nous ne sommes pas faits pour ça. » Lui a l’air pourtant de bien s’en accommoder et d’inciter les gens à le suivre, en continu, raconter ses trucs et astuces.

Une expérimentation dangereuse

Des personnes vulnérables, en suivant ses conseils, reconnus par aucune certification, sont donc poussées à changer leur alimentation sans suivi médical, à remettre en question l’éducation de leurs enfants, voire à quitter leur emploi.

Ces personnes, pour la plupart déjà fragiles, auront-elles le talent de Thierry Casasnovas et les ressources nécessaires pour atteindre son « bien-être » et faire fructifier un business model, qui lui permet d’en vivre ? Pour la plupart d’entre elles, Il y a de fortes raisons d’en douter.

Donc, en plus d’être malades et/ou dépressives, elles se retrouveront embarquées dans une expérimentation qui risque de les priver des moyens conventionnels de guérir, de leurs relations sociales, de leur travail, de leurs revenus.

Repenser son alimentation et son mode de vie peut être utile, mais surement pas au risque de tout perdre, en suivant inconditionnellement et uniquement les conseils des vidéos de Thierry Casasnovas.