Tchernobyl: la preuve de la contamination de nos enfants

Exclusif. Une étude de médecins de l’UCL démontre que le taux de cancer de la thyroïde a augmenté significativement chez les jeunes Belges.

Temps de lecture: 5 min

À quelques jours du trentième anniversaire de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl (le 26 avril 1986), la publication des recherches de six médecins de l’hôpital universitaire de Mont-Godinne (UCL) va faire du bruit. Ces recherches montrent, sur un échantillon large, que le nombre de cancers papillaires de la thyroïde (une forme de cancer qui peut être induite par les radiations) a augmenté significativement chez les enfants belges qui avaient moins de 15 ans en avril 1986.

Les jeunes plus touchés

Depuis 25 ans, le professeur Luc Michel, spécialiste des glandes endocrines à l’UCL, aujourd’hui à l’éméritat, est persuadé que la catastrophe de Tchernobyl a affecté la santé de nos enfants. En 2001 déjà, il présentait des chiffres alarmants, faisant état, parmi les patients de l’hôpital de Mont-Godinne (entre Dinant et Namur), d’un nombre inhabituel de cas de cancers de la thyroïde chez les enfants nés peu avant la catastrophe nucléaire. Aujourd’hui, l’étude va plus loin. Et confirme encore davantage ce que le médecin craignait. Les recherches ont été menées conjointement par six médecins des services de chirurgie, endocrinologie et pathologie de l’hôpital universitaire, le professeur Luc Michel et ses collègues Julian Donckier, Alain Rosière, Caroline Fervaille, Julien Lemaire et Claude Bertrand. Elle est publiée dans le journal officiel de la Société royale belge de chirurgie, Acta Chirurgica Belgica. L’étude porte cette fois sur trois décennies d’expérience de cette équipe chirurgicale qui traite notamment les cancers de la thyroïde. Résultats? Entre avril 1986 et avril 2015, 2.349 patients nés avant avril 1986 ont été opérés à Mont-Godinne pour des lésions de la thyroïde. Les médecins ont examiné et comparé deux groupes distincts. Parmi les 2.349 patients, 2.164 avaient plus de 15 ans en 1986 (groupe A) et 185 moins de 15 ans (groupe B). Dans le groupe A, celui des patients les plus âgés donc, 175 ont développé un cancer papillaire de la thyroïde, soit 8,1%. Dans le groupe B, les moins de 15 ans, cette proportion est plus que doublée: elle monte à… 19,5%, soit 36 sur 185 patients ayant développé ce cancer.

Le taux de cancer ne diminue pas

Dans le détail, ces médecins de l’UCL constatent aussi que le taux de cancer de la thyroïde augmente au fil du temps dans les deux groupes d’âge différents, mais bien plus parmi les patients les plus jeunes. La différence entre les groupes A et B persiste tout au long de trois périodes étudiées (de 1986 à 1999, de 2000 à 2010 et de 2011 à 2015). Entre les périodes 1986-1999 et 2000-2010, on constate une diminution de l’écart du taux de cancer, mais la différence augmente à nouveau fortement entre 2011 et 2015. «Nous ne nous attendions pas à une telle différence. De nouvelles techniques de diagnostic plus précises ont été introduites depuis 2011. Nous pensions que plus le temps passerait et plus le taux de cancer diminuerait chez les plus jeunes puisque ces techniques bénéficieraient aux deux groupes de patients. Ce n’est pas le cas. Le temps de latence peut donc être très long pour le cancer de la thyroïde induit par les radiations», analyse le Pr Michel, que nous avons interrogé sur ces résultats interpellants.

Des bébés atteints

Les 36 patients du groupe B qui ont présenté un cancer avaient 12 ans d’âge moyen au moment de Tchernobyl. Leur âge moyen lors de l’intervention chirurgicale était de 33 ans. «Dramatiquement, nous avons rencontré aussi six cas de bébés contaminés in utero, au stade fœtal. Dans deux cas, il y a eu cancer de la thyroïde chez l’enfant. L’iode radioactif passe à travers le placenta ou via le lait maternel», ajoute le professeur Michel. Pour nos médecins, cette longue étude démontre que l’exposition aux radiations du fameux nuage de Tchernobyl a été bien plus importante dans nos régions que ce que les autorités ont bien voulu reconnaître jusqu’ici. Leurs recherches prouvent que, depuis 30 ans, le taux de cancer de la thyroïde chez les enfants belges qui avaient moins de 15 ans lors de l’accident nucléaire reste plus élevé que dans le reste de la population. «Je dirais plus précisément que c’est un problème à ne pas ignorer, et encore moins à nier, dans l’ensemble de la population européenne. En Belgique, j’aimerais obtenir les résultats d’études similaires sur tout le pays. Mais elles n’existent pas. Et le Registre du Cancer, créé en 2008, ne donne aucune information pertinente sur ce sujet», déplore le professeur Michel. «Il en est de même d’un récent rapport du KCE (Centre fédéral d’expertise des soins de santé, ndlr) sur tous les types de cancer de la thyroïde qui n’aborde pas cette question spécifique. C’est étonnant. Pour moi, la date de naissance d’un patient présentant un problème thyroïdien est devenue la première information à considérer.»

«On a rentré les vaches, pas les enfants»

Depuis 1990, on sait avec précision que le nuage radioactif parti de Tchernobyl est passé au-dessus de la Belgique les 1er, 2 et 3 mai 1986. Et que des retombées radioactives ont été décelées sur tout le territoire, en dose plus élevée en province de Luxembourg et dans l’est de la province de Namur. Mais en 1986, aucune mesure n’a été prise, à part pour le bétail… Il aurait suffi, rappelle le Pr Michel, de confiner les enfants quelques jours à l’intérieur, et de leur distribuer, comme en Pologne, des comprimés d’iode. Mais rien n’a été fait. «En Belgique, on a fait rentrer les vaches, mais pas les enfants. Des instructions simples et précises pour les inspections médicales scolaires seraient également fort utiles», répète Luc Michel. Et il ajoute: «Ce n’est que depuis peu que les périmètres d’évacuation et de distribution de comprimés d’iode autour de nos centrales nucléaires ont été revus rationnellement en cas d’accident de type Fukushima. Mais mieux vaut tard que jamais.»

 

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