Huile et gaz de schiste : la question à un milliard (de barils)

Nicolas Sarkozy souhaite désormais que la France exploite ses hydrocarbures non conventionnels. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ?

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Les estimations des réserves du sous-sol français ne sont pour l'instant que des extrapolations de données récoltées sur de faibles échantillons du territoire.
Les estimations des réserves du sous-sol français ne sont pour l'instant que des extrapolations de données récoltées sur de faibles échantillons du territoire. © AFP

Temps de lecture : 5 min

Forer ou ne pas forer nos sous-sols en profondeur, telle est la question. C'est même l'arlésienne du débat énergétique français. Un jour, c'est un rapport parlementaire qui rouvre le débat. Le suivant, un avis de l'Académie des sciences. Un autre encore, c'est Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, qui veut une extraction "propre" des gaz de schiste. Puis les think tanks s'en mêlent : un classé à gauche, l'autre à droite !

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Le revirement de Nicolas Sarkozy jeudi sur le dossier incarne parfaitement ce va-et-vient incessant. En 2011, c'est sous sa présidence que la loi Jacob est adoptée. Elle sera validée en 2013 par le Conseil constitutionnel. Elle interdit "l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique", seule technique éprouvée pour libérer et récupérer les huiles et gaz de schiste prisonniers de la roche-mère, bien que décriée aussi pour son impact environnemental. Dans la foulée, Nicolas Sarkozy demande à sa ministre de l'Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, de "veiller à ce que les permis [des compagnies pétrolières, NDLR] soient strictement limités aux activités conventionnelles". "C'est clair et c'est définitif", ajoutait-il.

Trésor ou malédiction ?

Pourtant, jeudi, pour son premier jour de campagne sur le terrain, le candidat à la présidence de l'UMP a pris un virage à 180 degrés : "Je ne peux pas accepter que les États-Unis soient devenus du point de vue de l'énergie indépendants grâce au gaz de schiste et que la France ne puisse pas profiter de cette nouvelle énergie alors que le chômage ravage tant de nos familles. C'est inacceptable." Face à l'atonie de la croissance, le gaz de schiste serait-il la solution ?

Encore faudrait-il connaître exactement les réserves françaises. C'est la question à un milliard de barils, peut-être plus, peut-être moins. Il est en effet aujourd'hui difficile de dire si nous sommes assis sur un trésor. Ou une malédiction, car, pour certains écologistes, à l'heure de la lutte contre le changement climatique, mieux vaudrait laisser sagement ces ressources gazière et pétrolière là où elles sont. D'un autre côté, la facture énergétique de la France, qui s'élevait en 2012 à 68,7 milliards d'euros, ne peut laisser indifférent. N'est-il pas préférable de brûler une énergie bleu-blanc-rouge et taxer cette manne certes polluante, plaident d'autres, pour financer la transition énergétique ?

Le grand écart des estimations

"Il existe deux réserves en France : le Bassin parisien, où se trouve de l'huile de schiste, et le bassin du Sud-Est qui contient du gaz de schiste. Le premier est mieux connu en raison du nombre de puits forés et des données acquises de caractérisation de la roche-mère", analyse François Kalaydjian, directeur adjoint à l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (Ifpen). Malgré l'historique parisien, la fourchette des estimations reste tout de même très large.

En rouge, les deux réserves principales (et supposées) d'huile et de gaz de schiste.

Le CGEIET et le CGEDD* relaient ainsi "avec une extrême prudence" une évaluation proposée par un opérateur pétrolier anonyme : il y aurait 6,3 milliards de barils de pétrole potentiellement récupérables dans ce bassin qui s'étend du Havre à la Lorraine. Un maximum, selon l'américain Hess. Citée par un rapport parlementaire, cette entreprise pétrolière recense plutôt un potentiel de 1 à 6,4 milliards de barils non conventionnels. La différence est de taille. Un milliard de barils, c'est un an et demi de consommation nationale en 2013. Fourchette haute ? On passe à près de dix ans...

Du côté du gaz dans le Sud-Est, alors, là, ce n'est plus un écart, mais un gouffre ! Si l'on en croit des données là aussi extrapolées en 2013 par l'Agence américaine d'information sur l'énergie, les sous-sols français contiendraient "3 900 milliards de mètres cubes de gaz techniquement récupérables". Preuve que l'estimation est à la louche : elle est en baisse de 23 % par rapport aux premiers calculs réalisés en 2011. Ce chiffre a toutefois de quoi faire rêver n'importe quel géant du gaz, c'est presque un siècle de la consommation nationale. Cette fois, c'est le CGEIET et le CGEDD qui modèrent ces estimations. En se basant sur des chiffres fournis notamment par Total et GDF Suez, ils estiment les réserves de gaz à 500 milliards de mètres cubes techniquement exploitables, soit près de 15 ans de consommation.

Il faudrait bien sûr mener des forages exploratoires pour en avoir le coeur net, mais, même sur ce point, difficile de dire avec précision combien de puits tests il faudrait creuser. "Je ne peux pas vous dire a priori combien il faut forer de puits, il n'y a pas de chiffre magique. Quelques dizaines sans doute. Cela dépend de l'hétérogénéité du bassin, de sa structure, de la variabilité des propriétés de la roche, etc.", pointe François Kalaydjian. Une fois les puits forés, quels que soient les résultats, la tentation pourrait être forte de les exploiter...

En parallèle, personne ne s'est vraiment soucié d'estimer d'éventuels dommages environnementaux - combien coûterait, par exemple, la contamination d'une nappe phréatique à cause d'une brèche dans le puits du forage ? Bref, face à beaucoup d'incertitudes, difficile pour l'instant de trancher la question, chiffres contre chiffres, bénéfices économiques contre coût écologique.

Les Français prêts à céder leurs jardins ?

Les Français, à force d'entendre régulièrement le sujet revenir à leurs oreilles, commencent à se faire une opinion sur le sujet. Selon l'Ifop, qui a réalisé une étude sur les Français et le gaz de schiste début 2013, plus d'un sur deux connaît le sujet. Parmi ceux-là, 58 % d'entre eux se déclarent favorables à des forages exploratoires, mais 85 % estiment que c'est une technique que l'on maîtrise mal. Pas sûr qu'ils sachent en revanche que, contrairement aux Américains, propriétaires de leur sous-sol, en France, une exploitation d'hydrocarbures sur un terrain privé ne rapporte pas un centime à son propriétaire. En tout cas, en l'état de notre Code minier, dont la refonte se fait toujours attendre. Avoir les nuisances sans les bénéfices, pas sûr que cela aide à multiplier les forages sur le territoire...

Une anecdote venue d'outre-Atlantique résume d'ailleurs bien tout le problème. Rex Tillerson, le P-DG d'Exxon - le plus gros producteur de gaz américain -, a porté plainte contre ses voisins pour empêcher l'installation d'un château d'eau aux portes de son ranch. Le bâtiment devait servir de réservoir pour alimenter, grâce à une nuée de poids lourds, des forages très gourmands en eau. De quoi faire perdre en calme et en valeur sa propriété... Le gaz de schiste, oui, mais pas dans son jardin.

* Voir page 25 de : "Les hydrocarbures de roche-mère en France", rapport initial et rapport complémentaire (février 2012), Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGEIET) et Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD)

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Commentaires (74)

  • Oskar Lafontaine

    Tartempon, sur les éoliennes et le nucléaire a écrit véritablement n'importe quoi et d'abord du faux et de l'archi faux.
    Premièrement l'uranium, qui alimente les réacteurs nucléaires n'est pas éternel, et à un prix supportable d'extraction il n'y en a pas pour plus d'un siècle et encore, si on limite à deux ou trois fois en plus au maximum le nombre de réacteurs en sévices. (Radiations, risques apocalyptiques, déchets hors de prix à enterrer), ce n'est plus que moins de 9%, en 2013 de l'électricité produite dans le monde.
    C'est précisément pour cette raison de diminution des réserves d'uranium qu'Areva a essayé d'utiliser du plutonium, bien plus abondant. Mais là deux échecs retentissants, Superphénix d'abord, puis l'EPR ensuite, qui ne fonctionnera, s'il fonctionne et en produisant au mieux 30% plus cher que les éoliennes. Qu'avec de l'uranium ordinaire, la probabilité d'explosion étant bien trop élevée avec le plutonium, car le plutonium est bien plus réactif, un million de fois plus, que l'uranium 235. Le programme EPR a pris au moins deux ans de retard à cause de ce petit "détail" dont Areva comme le CEA n'ont pas jugé bon d'informer les populations. Lesquelles populations ne savent pas non plus qu'à Tchernobyl, c'est aussi un problème avec le plutonium, fabriqué dans le réacteur, qui est la cause de l'explosion, et non pas la gabegie soviétique qui là, a encore eu bon dos.
    Quant aux éoliennes, elles se portent très bien, merci pour elles, et on en installe chaque année dans le monde, en capacité de production électrique, des dizaines de fois plus que ce qui est mis en sévices en nucléaire. Il doit bien exister une raison...
    Enfin le photovoltaïque est devenu, depuis deux ans, la technologie la moins onéreuse pour produire de l'électricité, en zone ensoleillée c'est même jusqu'à trois fois moins onéreux que le nucléaire neuf modèle EPR, lequel, en conséquence, n'a plus aucun avenir, sinon dans les délires de suppôts acharnés et vieillissants du nucléaire.

  • jeanlouis69

    Sage réflexion que je partage pleinement d'autant qu'Alstom et G Electrique ne demandent qu'à travailler.

    Alors que j'arrive au terme de mon parcours en ce bas monde, je n'ai pour ma part aucune envie de laisser un dépotoir à mes petits enfants. Les éoliennes marines me semblent bien plus intéressantes d'autant que ce moyen de production électrique pourrait être éventuellement déplacé selon les besoins et bien sûr la taille des engins. Est ce vrai ?

    Alors que nous sommes un des pays possédant le plus de côtes maritimes, je pense que nous n'exploitons pas assez ce qui est sans aucun doute un réel atout. Ne pourrait on imaginer également des éoliennes aquatiques immergées dans nos fleuves ? En supposant que techniquement cela soit possible, nous devrions l'envisager très sérieusement compte tenu des fleuves dont nous disposons et qui sont en outre fort bien répartis sur notre territoire.

    Ne perdons pas de vue non plus que la production de pétrole synthétique au moyen des algues progresse à grand pas. Il doit y avoir là encore une solution d'avenir laquelle conjuguée bien sûr avec d'autres sources énergétiques devraient permettre au pays d'envisager l'avenir avec un relatif optimisme. Il me semble donc nettement préférable d'investir dans ces différentes solutions sans oublier le solaire bien sûr plutôt que dans ces gaz et huiles de schistes dont pour l'instant nous ne savons tout de même pas très bien ce qu'ils nous réservent et qui comme qu'il en soit ne seront pas éternels. Pour avoir là aussi vu quelques reportages télévisés, j'avoue ne pas avoir très envie de voir arriver du gaz à la place de l'eau sur mon évier. Une fois le sous sol pollué, que ferons-nous ? L'eau est tout de même nettement plus importante.

    Pour ce qui est des huiles et gaz de schistes, au delà du seul aspect purement écologique, si nos réserves ne sont que de l'ordre du siècle, je ne suis pas persuadé du tout que cela vaille la peine d'hypothéquer l'avenir pour une aussi courte vue.

  • Tartempon

    Qu'elles soient marines ou terrestres, les éoliennes, même par centaines de milliers, ne pourront pas satisfaire la demande en énergie électrique le jour où des millions de véhicules devront être rechargés toutes les nuits, du fait de la nature aléatoire de l'énergie éolienne. Comment ferez-vous les jours sans vent (régime anticyclonique à faible gradient) ?
    Ne rêvez pas : Seul le nucléaire pourra y réussir et ce, sans la moindre émission de CO2.
    Il faudrait d'ores et déjà noter les noms et les adresses des personnes favorables aux éoliennes pour en installer une de préférence chez eux, dans leur jardin.