Derrière l’âpreté des négociations se cachent des enjeux économiques colossaux. Car une ambition de limitation de la température globale à 1,5°C ou 2°C à l'horizon 2100 par rapport à l'ère pré-industrielle suppose une révolution de nos modes de production et de consommation. A l'occasion de laCOP21, les entreprises et les investisseurs ont multiplié les annonces en faveur d'un monde décarboné. Qu'il se solde ou non par un accord, le sommet climatique de Paris constitue un moment de bascule vers une économie bas carbone. Analyse.

La dernière version du projet d’accord de Paris cible l’objectif de limitation de la hausse de la température globale de 1,5°C à 2°C à horizon 2100 par rapport à l’ère pré-industrielle. Une victoire pour les pays en développement. Car ce qui était l’une de leurs revendications principales était loin d’être acquise en début de négociation. Mais cette augmentation de l’ambition appelle nécessairement une révolution de nos modèles économiques.
"Il faut replacer ce projet d’accord dans un contexte politique et économique plus large. Ce texte doit envoyer des signaux aux gouvernements pour qu’ils mettent en place un cadre pour engager la transition vers une économie bas-carbone. C’est-à-dire à une économie qui s’appuierait non plus sur les énergies fossiles mais sur les énergies renouvelables", souligne Michael Jacobs, professeur de sciences politiques et économiques et ancien bras droit du Premier ministre britannique, Gordon Brown.

Réduire les émissions pour éradiquer la pauvreté 



Des signaux qui ne s’adressent pas uniquement au secteur privé des pays industriels. Le texte actuellement en négociation trace la voie d’un nouveau modèle de développement économique pour les pays du Sud. Nicolas Stern, directeur du Grantham Research Institute à la célèbre London School of Economics et auteur du rapport sur les coûts de l’inaction climatique publié en 2006, souligne un aspect innovant du projet d’accord : le lien entre la lutte contre le réchauffement climatique et le renforcement des économies des pays du Sud. 
"Dans le texte, nous retrouvons des formules renvoyant au développement durable, à l’éradication de la pauvreté, à la fourniture d’électricité aux populations qui en sont encore dépourvue", relève l’expert. Il observe que le texte ne renvoie plus à une polarisation entre réduction des émissions de gaz à effet de serre d’un côté et développement économique de l’autre. "Ce que l’on voit ici, c’est la transition vers une économie bas-carbone en tant qu’élément essentiel de l’aide au développement. Une reconnaissance forte qu’un meilleur climat est bon pour un meilleur développement économique".  

Harmoniser les règles du jeu  



Faire de la lutte contre le changement climatique une opportunité économique, l’antienne est reprise par le secteur privé qui, tout au long de la COP21, a montré sa mobilisation pour opérer cette transition bas carbone. Et dès la parution du texte, une coalition de 120 investisseurs institutionnels engagés sur la question du changement climatique (IIGCC) – et gérant 13 000 milliards d’euros d’actifs – a estimé qu’il envoyait des signaux positifs au monde économique.
"A travers le processus des INDC, de nombreux pays ont déjà reconnu les opportunités d’une transition bas carbone. Les investisseurs espèrent que beaucoup de pays utiliseront les cycles de révision de 5 ans pour baisser leurs émissions vers une trajectoire bien en dessous des 2°C", souligne ainsi sa présidente, Stéphanie Pfeifer. Avant d’ajouter: "nous saluons tout particulièrement l’objectif de long terme, le mécanisme de révision tous les cinq ans et les progrès prometteurs concernant le financement climat. Les investisseurs sont venus à Paris pour montrer leurs nombreuses actions sur le risque climat et pour appeler à un accord robuste qui accélèrera et augmentera les investissements dans les systèmes énergétique bas carbone."
De fait, pour Cécile Renouard, directrice du programme de recherche Entreprises et développement des pays émergents au sein de l’Institut Iréné de l’ESSEC, les entreprises "ont un rôle politique à jouer" dans la lutte contre le changement climatique. "Les entreprises doivent intégrer dans leurs choix stratégiques des engagements sociétaux et environnementaux", rappelle celle qui a récemment publié "Les entreprises au défi du climat".   

Les entreprises en attente de signaux politiques crédibles  



C’est aussi ce qui est inscrit dans la dernière version du texte. Dans la partie concernant la période pré-2020 (Décision de la COP), soit avant l’entrée en vigueur de l’accord de Paris, un chapitre est dédié à la mobilisation des acteurs non-étatiques. Les Parties appellent ces derniers à poursuivre leurs efforts, donnant ainsi une impulsion politique à cette dynamique privé. C’est aussi dans ce paragraphe (et non dans une partie de l’accord, destiné aux Etats) qu’il est fait mention du prix carbone comme outil incitatif pour conduire à une réduction des émissions mais sur ce point le texte a encore été édulcoré.
Une demande forte des entreprises, ainsi que de nombreux gouvernements mais que les pays pétroliers, Arabie Saoudite en tête, combattent de manière virulente. Au grand dam d’ONG comme FNH qui souligne l’importance de l’outil pour les Etats et l’envoi d’un signal clair aux acteurs économiques du monde entier.
Mais pour les entreprises les plus engagées, au fond peu importe que le prix du carbone soit dans le texte ou non. Car pour Edward Cameron, de Business for Social Responsability (BSR), un réseau qui fait partie d’une coalition d’entreprises mondiales allantes sur la question climatique, le mouvement est déjà lancé. Et l’on ne pourra plus l’arrêter. "Plusieurs entreprises et gouvernements dans le monde s’y mettent. Ce mouvement pourra s’accélérer avec un accord à Paris. Nous voulons dire aux gouvernements réunis au Bourget que s’ils parviennent à un accord, ils auront le secteur privé à leurs cotés pour mobiliser les investissements dont ils auront besoin. Ce que nous voulons, c’est rentrer de Paris en disant aux entreprises : le monde a changé".

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